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la psychologie du sport.

un bateau de course à bancs mobiles, une impression nouvelle se fera jour. Son plaisir résidera alors presque exclusivement dans l’harmonie mécanique établie entre lui et le bateau, dans le rythme qui réglera sa nage, dans la régularité absolue de l’effort, dans la proportionnalité heureuse de la dépense de force avec l’effet obtenu. L’homme devient une machine, mais une machine qui continue de penser et de vouloir et qui sent la vigueur se produire en elle, se condenser et s’échapper avec la même précision mathématique que s’il s’agissait de vapeur ou d’électricité. Il y a là une sensation saine à coup sûr et d’une extraordinaire puissance. On s’en grise parfois. Tout rameur a éprouvé cela et se souvient comme de réveils désagréables des légers accrocs qui interrompent son rythme, troublent l’harmonie de sa course ; une pelle d’aviron prise dans les herbes, une secousse maladroite donnée par un camarade distrait, une fausse manœuvre du barreur… l’embarcation ne s’arrête pas pour si peu ; mais celui qui la monte perd soudain la notion de l’équilibre qui le charmait.

Même recherche inconsciente d’équilibre dans l’équitation. Sans doute l’homme entre fréquemment en lutte avec le cheval, et cette lutte l’intéresse d’autant mieux que l’intelligence s’y combine avec la force. Tout inférieur qu’il soit dans l’échelle des êtres, l’animal n’en a pas moins son idée et tient à la faire prévaloir. Toutefois, si la lutte se prolonge, le cavalier se lasse et proclame sa monture vicieuse, ce qui veut dire, en général, qu’elle est indomptable. Et ce n’est pas seulement sous le rapport utilitaire que le cheval « vicieux » a perdu de sa valeur, c’est également au point de vue sportif. Ce pourra être un plaisir pour des jeunes gens hardis que le danger aiguillonne de se mesurer avec lui, comme c’en est un pour les cowboys de réduire des chevaux sauvages sur les ranchos d’Amérique, mais personne ne pensera que cette bataille constitue le dernier mot de l’équitation ni la meilleure des jouissances qu’elle peut procurer. Un auteur yankee a décerné au cheval ce bizarre éloge : « il donne à l’homme la sensation d’avoir quatre jambes. » Buffon n’eût pas trouvé cela, sans doute, mais l’idée est juste et exprime sous une forme nouvelle quelque chose de fort ancien. L’imagination antique avait créé l’homme à quatre jambes, le centaure, en lequel elle se plaisait à symboliser le sport hippique, à son plus haut degré de perfection, à ce point précis où les muscles du cheval