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constances, à tous les buts. Pour cela, il faut substituer la volonté à l’habitude.

La volonté ! voilà ce qui féconde le sport et le transforme en un merveilleux instrument de « virilisation. » Dans les métiers que je viens de citer, ou dans d’autres du même genre, la limite de l’effort utile est assez vite atteinte. Il n’est pas nécessaire et il peut être imprudent de tenter davantage. À quoi bon ? Un travailleur intelligent vise à fournir le plus de besogne possible dans le moins de temps et avec le moins de fatigue possible. L’homme de sport demeure étranger à toute préoccupation utilitaire. La tâche qu’il accomplit, c’est lui-même qui se l’est assignée, et comme il n’est pas obligé, pour gagner sa vie, de la recommencer le lendemain, le souci de se ménager lui est épargné. Il peut ainsi cultiver l’effort pour l’effort, chercher les obstacles, en dresser lui-même sur sa route, viser toujours un degré au-dessus de celui qu’il a atteint. C’est ce qu’exprime si bien la devise choisie par le Père Didon pour ses élèves d’Arcueil groupés en association athlétique. « Voici, leur a-t-il dit, le jour de leur première réunion, voici votre mot d’ordre : citius, altius, fortius ! Plus vite, plus haut, plus fort ! »

Par là nous sortons presque du sport pour atteindre les régions philosophiques. Ce langage n’est pas nouveau. C’est celui des stoïciens de tous les temps. Les gymnases grecs ont sans doute retenti fréquemment de paroles analogues dites par d’obscurs disciples des grands penseurs, et répétées par de simples maîtres de gymnastique qui ne croyaient pas que cette recette de virilité dût jamais être perdue pour des peuples civilisés.

L’antiquité en fit un usage abondant, cela est certain. Mais de nos jours, s’en sert-on ? Est-elle même applicable à notre civilisation présente, faite de hâte fébrile et d’âpre concurrence ? Et le sport qui nous est revenu de si loin après une éclipse si longue et si totale, n’a-t-il pas complètement changé de caractère ? Ne tend-il pas à se confondre avec l’usage d’instrumens de locomotion de plus en plus perfectionnés ? Est-ce bien là le même athlétisme dont la portée morale était sans cesse proclamée et dont « le mot d’ordre » du Père Didon tendrait à rétablir la formule ?… À ces questions, le temps seul peut donner une réponse certaine. Si, d’ailleurs, le mépris mystique de la « guenille charnelle » qui tua l’athlétisme aristocratique du moyen âge, a cessé d’être un ennemi redoutable, il n’en est pas de même de l’ar-