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ce qu’il dit de cette ardente curiosité qui cherchait toujours à se satisfaire et que la retraite (j’ai pu le vérifier moi-même) ne put jamais calmer. On dit que sa jeunesse n’avait pas été irréprochable, mais les récits que j’ai entendu faire à cet égard et surtout les noms que j’ai entendu prononcer ne m’ont pas permis de croire que le sentiment lui ait jamais fait oublier le goût passionné qu’elle avait pour connaître et juger les faits les plus secrets de la politique. Etablie en France, elle devait se lier, on le sait, avec le dernier ministre de la monarchie de Juillet, l’illustre M. Guizot, d’une amitié solide et sincère qui dura jusqu’à sa mort et qui les honora l’un et l’autre. Mais elle voulait que son salon, où il tenait naturellement la première place, fût ouvert aux politiques étrangers ou français, de passage ou en résidence, qui pouvaient lui apporter d’un point quelconque d’Europe ce que Saint-Simon, parlant d’un ministre disgracié, appelle le fumet d’affaires, dont elle ne se pouvait passer ; et je pus remarquer moi-même, à plus d’une reprise, que, malgré la bienveillance dont elle m’honorait, en raison de la situation de mon père, ma conversation lui paraissait plus intéressante le jour où mes relations avec le ministère des Affaires étrangères me permettaient de lui apporter quelques informations qu’elle ne pouvait obtenir autrement. M. de Talleyrand fait encore une remarque très juste quand il dit que, quand le pouvoir changeait de mains, elle avait toujours l’art de se trouver d’avance en bonnes relations avec le successeur. C’est bien ainsi que quand, en France, la royauté tomba, sans qu’elle eût répudié aucun de ses anciens amis, les meilleurs serviteurs du nouvel empire trouvèrent leur place déjà marquée chez elle : non qu’elle eût rien à attendre ou à réclamer d’eux, mais parce qu’elle tenait à rester voisine de tous les foyers de lumière. Je ne puis oublier, en particulier, que ce fut dans ce salon de la rue Saint-Florentin (autrefois la demeure de Talleyrand) que j’eus pour la dernière fois l’occasion de saluer la belle étrangère que j’avais connue autrefois, comme jeune secrétaire d’ambassade à Madrid, et qui devait être appelée quelques jours après au rang d’impératrice. La nouvelle circulait déjà et tenait tous les regards fixés sur elle, bien que le fait fût encore incertain. Mais quand je vis la maîtresse de la maison se placer sur une chaise basse auprès du sofa où elle avait fait asseoir la jeune beauté, je compris que le choix était fait et que je n’avais pas de temps à perdre pour lui offrir mes hommages si je ne voulais pas être confondu avec la