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dont on a besoin pour tant d’autres affaires ! C’est ainsi que les gouvernemens s’endorment volontiers dans une confiance trompeuse, et qu’ils en sont quelquefois réveillés en sursaut. On vient d’en avoir un triste exemple en Chine. Les gouvernemens avaient été prévenus et n’avaient rien fait. Les avertissemens de nos agens auraient pourtant mérité d’être pris au sérieux, et il n’y aurait même pas eu grand inconvénient à les prendre un peu au tragique. Ils n’avaient, cette fois, rien d’invraisemblable. Nous exposions, il y a quinze jours, les causes du mouvement chinois : la moindre réflexion suffisait à en révéler la gravité. Mais les gouvernemens ont fermé les oreilles à ce qu’on leur disait, et même les yeux à ce qu’ils voyaient depuis quelques semaines. Tout d’un coup, le volcan qui grondait a fait éruption. Le sol a été agité avec tant de violence, non seulement autour du principal cratère, mais jusqu’aux extrémités d’une région immense, qu’il a bien fallu se rendre compte de ce que le phénomène avait d’exceptionnel. La diplomatie a enfin secoué sa torpeur, et nous reconnaissons qu’elle a fait son possible pour réparer le temps perdu ; mais on ne le répare jamais complètement.

Nous ne raconterons pas tout ce qui vient de se passer en Chine ; d’abord parce que les journaux en ont été remplis depuis quinze jours, ensuite parce que ces récits de la presse sont le plus souvent hypothétiques, et que nous ne voudrions pas paraître y ajouter plus de foi qu’il ne faut. Les gouvernemens, lorsqu’ils ont parlé officiellement, ont montré beaucoup de circonspection. Le nôtre a été jusqu’ici peu interrogé, et il a manifesté le désir de ne l’être pas pour le moment davantage. A la Chambre des communes anglaise, M. Brodrick a été harcelé de questions quotidiennes ; mais il a constamment répondu qu’il ne savait rien. Que pouvait-il savoir, en effet, puisque les communications sont coupées entre Pékin et l’Europe ; que nous ignorons ce qui se passe entre Pékin et Tien-Tsin, et que nous n’étions pas mieux éclairés, jusqu’à ces derniers jours, sur ce qui se passait entre Tien-Tsin et Takou ? Un seul point ne fait plus de doute, c’est que les Boxeurs ont été improprement qualifiés d’insurgés. Ils se sont soulevés avec la connivence du gouvernement chinois, qui, presque immédiatement, a jeté le masque et s’est montré à côté d’eux pour les encourager et les soutenir. L’armée régulière et l’armée irrégulière n’en ont bientôt fait qu’une. On s’en était douté dès le premier jour ; mais, si le fait avait besoin d’être confirmé, il l’a été avec éclat le jour où les forts de Takou ont tiré les premiers coups de canon sur les troupes internationales. Un tel acte révélait la gravité de la situation.