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à rien. Soyons sûrs qu’elles le charmaient dans sa jeunesse, qu’il était très fier des éloges de ses maîtres et des applaudissemens de ses camarades. Il a conservé un souvenir très tendre de ses premières années. Sa petite patrie lui a toujours été très chère, et, même au milieu de ces sociétés élégantes où l’on souriait volontiers de la barbarie des provinces, il prenait plaisir à parler d’elle et à la célébrer. « Que ceux, disait-il, qui ont vu le jour dans les cités de la Grèce aiment à chanter Thèbes et Mycènes, et l’illustre Rhodes, et Lacédémone avec ses luttes de gracieux éphèbes ! Moi, je suis un fils des Celtes et des Ibères, et quoique les noms de mon pays soient rudes à prononcer, je n’ai pas de honte à les redire dans mes vers reconnaissans. »

De cœur, il est resté Espagnol ; il paraît qu’il l’était aussi d’aspect et de visage. Il nous dit qu’il avait la barbe épaisse, les cheveux raides, la voix forte, et qu’on reconnaissait, en le voyant, un homme qui était né tout près du Tage. Ce qui nous étonne, c’est que rien dans le caractère de son talent ne rappelle ce pays auquel il était si attaché. En général, les écrivains espagnols se ressemblent ; ils ont des qualités et des défauts auxquels on les reconnaît ; et ce qui paraît prouver qu’ils les tiennent bien de leur race, c’est qu’ils les avaient déjà dans l’antiquité. La première fois qu’il est fait mention de poètes de l’Espagne (c’est dans un discours de Cicéron), on nous dit qu’ils sont épais et ronflans : pingue sonantes. Le premier prosateur espagnol que l’on connaisse est ce Porcius Latro dont il vient d’être question, déclamateur fougueux, violent, inégal, tout de premier mouvement. Il y a dans les tragédies de Sénèque des descriptions de supplices et des raffinemens de cruauté à rendre jaloux Ribera. Lucain, dans ses mauvais momens, tombe dans l’exagération et l’emphase, il aime les mots sonores et les pensées voyantes. Dans Martial, on ne trouve rien de pareil ; il n’enfle jamais la voix, il ne cherche pas à produire de l’effet. C’est un des écrivains les plus simples et les plus naturels qui nous restent de toute la littérature latine. Aucun Espagnol ne l’a moins été que lui dans ses vers.


II


En 64, Martial, qui avait alors à peu près vingt-quatre ans, quitta son pays pour aller à Rome. Ce n’était pas un simple