Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À ce qui en faisait le fond d’ordinaire, combats de gladiateurs, naumachies, courses de chars, exhibitions d’animaux féroces ou apprivoisés, chasses où l’on tuait jusqu’à neuf ou dix mille bêtes, on ajouta des plaisirs nouveaux ou moins usés. Cette fois l’attraction paraît avoir consisté surtout à représenter des événemens tirés de l’histoire ou de la mythologie ; c’était, par exemple, dans l’arène inondée, le combat naval entre les gens de Corinthe et de Corcyre, ou les jeux des Néréides sur les flots, ou Léandre qui traverse le Bosphore pour aller voir sa maîtresse, et qui semble dire aux ondes irritées : « Laissez-moi atteindre le rivage, et ne me noyez qu’au retour. « Seulement, pour que le spectacle fût tout à fait au goût des Romains, il était bon d’y joindre quelques agrémens auxquels on les avait accoutumés. On sait, par exemple, qu’ils aimaient à voir verser le sang ; aussi ajouta-t-on aux tableaux les plus rians des dénouemens lugubres. Dans un décor gracieux, qui rappelle le bois des Hespérides, Orphée charme la nature par ses chants ; mais, quand on suppose que le public en a assez de voir des arbres et des rochers se mouvoir en cadence, on lâche une bête féroce qui met le malheureux en pièces. Le brigand Lauréolus était le héros d’une comédie fort appréciée des Romains ; elle représentait un voleur aux prises avec la police et se moquant d’elle, ce qui est très populaire dans tous les pays du monde. La police, comme de juste, finit par être la plus forte et Lauréolus est mis en croix. Mais ce supplice paraissait trop lent aux spectateurs ; il fallait qu’un ours de Calédonie se jetât sur le malheureux et l’achevât. La foule ne perdait rien de son agonie. « Le sang ruisselait de ses membres vivans. Sa chair tombait en lambeaux. Aucune partie de son corps ne conservait de forme humaine. » Le plaisir que prend Martial à dépeindre ces horreurs nous fait deviner celui que la foule trouvait à les voir. — On a quelquefois peine à comprendre que le siècle des Antonins présente des contrastes si singuliers ; on ne s’explique pas comment la morale si pure, si élevée, dont tant de personnes faisaient alors profession,. pouvait se joindre à des sentimens si cruels. Le petit livre de Martial nous aide à résoudre ce problème. C’est qu’à côté de l’école des sages, qui prêchait l’humanité, il y avait celle de l’amphithéâtre qui apprenait à être féroce.

Le livre Sur les spectacles eut ce résultat pour l’auteur, de le mettre en relations plus directes avec le prince. Il est vraisemblable