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question dans les comédies de ce temps. Peut-être le trouverions-nous dans les mimes du temps d’Auguste, où l’on mettait volontiers sur la scène la vie privée, où l’on voyait l’amant surpris par le retour imprévu du mari se cacher dans un coffre. Il y a déjà quelques traces de sa présence dans l’Art d’aimer d’Ovide, mais c’est Martial qui l’a dépeint au naturel. « Un petit-maître est un homme dont les cheveux sont partagés par une raie bien faite, qui sent toujours les parfums, qui chantonne, entre ses dents, les chansons de l’Égypte et de l’Espagne, et sait agiter ses bras épilés en cadence, qui ne quitte pas de toute la journée les chaises des dames et qui a toujours quelque chose à leur raconter à l’oreille, qui leur lit les lettres qu’elles ont reçues de divers côtés et se charge d’écrire les réponses, dont la grande affaire est d’empêcher que son vêtement ne soit froissé par le coude du voisin, qui connaît les cancans de la ville et vous dira le nom de la femme dont un tel est amoureux, qui court les festins et peut réciter toute la généalogie du cheval Hirpinus. » Voilà en quelques vers un portrait achevé et qui nous met le personnage sous les yeux.

On a bien eu raison de chercher à savoir qui sont les gens à qui Martial adresse ses épigrammes[1] : c’est à peu près toute la société distinguée de ce temps. On y rencontre d’abord les serviteurs, les affranchis du prince, c’est-à-dire ceux qui, sous son nom, gouvernent l’empire ; puis, ce qui reste de l’ancienne aristocratie, fort diminuée, très appauvrie par la tyrannie des Césars, et la noblesse nouvelle qui est en train de la remplacer ; des gouverneurs de province, des généraux d’armée, des sénateurs qui possèdent depuis longtemps une grande situation ; d’autres moins connus, mais qui pointent déjà, comme ce Palfurius Sura, l’ami de Trajan, à qui l’avenir réservait une si brillante fortune. Ajoutez-y de riches protecteurs des arts, des amateurs, des collectionneurs, des lettrés du grand monde, Silius Italicus, qui avait composé un poème épique, et cet Arruntius Stella, un roi de la mode, auteur de petits vers précieux, « dans lesquels il mettait autant de perles et de brillans qu’il en portait à ses doigts. » Tacite n’est pas dans la liste : c’était un trop grave personnage et qui devait un peu effrayer la muse folâtre de

  1. Giese, De personis a Martiale commemoratis. Voyez aussi l’index nominum, que Mommsen a mis dans la seconde édition des lettres de Pline par Keil. Les personnages dont parle Martial se retrouvent souvent chez Pline.