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cette correspondance par le récit de leurs deux existences si bien confondues en une seule : raconter le bonheur passé est encore du bonheur. Et elle écrivit les Souvenirs d’une vieille femme dédiés à ses enfans. Lettres et Souvenirs étaient depuis gardés par la famille comme un dépôt pieux et discret quand, il y a une année, M. le marquis Costa de Beauregard fut, du droit de l’amitié, admis à les consulter.

M. le marquis Costa de Beauregard est un chercheur d’hommes. Il travaille et il excelle à rétablir en leur naturel et en leur vérité les existences qu’il lui plaît d’étudier : mais il est difficile sur ses modèles. Aujourd’hui que la beauté perd sa puissance inspiratrice et que les laideurs surtout excitent les talens, M. de Beauregard a cette originalité que son talent doit admirer pour produire. Il a beau dire quelque part : « Pour bien écrire la vie d’un homme, il faudrait ne pas l’aimer, » M. de Beauregard n’écrirait pas la vie d’un homme qu’il n’aimerait pas. Le gentilhomme a donné ses habitudes à l’artiste. Il considère que, parmi tant d’êtres qui furent, en choisir un pour le rappeler à la mémoire de ceux qui sont, est devenir responsable de cette préférence ; que le prendre pour étude est lier société avec lui ; que le présenter aux contemporains est un peu se porter son garant. Il lui faut de ces morts avec lesquels il eût été heureux de passer sa vie, de ces actions qu’il aurait voulu accomplir, de ces croyances qui restent les siennes. Ses biographies sont ses amitiés d’outre-tombe, et, sans s’en aviser peut-être, il cherche pour les peindre des visages qui lui ressemblent.

Combien tout cela apparaît dans Un homme d’autrefois, son premier ouvrage, et qui établit sa réputation ! Ce Costa, qui fut pour les princes de Savoie un si vaillant, sûr et spirituel ami, avait été tout ensemble la foi à la monarchie, le dévouement à une famille royale, la ressource de la belle humeur dans l’infortune, l’indépendance de l’esprit et la fidélité du cœur : l’auteur honorait des causes chères, servies par les dons qu’il prise le plus, et représentées par l’un des siens. En La Ferronnays, le marquis de Beauregard a retrouvé un « homme d’autrefois. » La Ferronnays, comme Costa, avait été le familier des princes, le compagnon de l’exil ; lui aussi, avait maintenu son crédit par la plus dangereuse des imprudences, la sincérité. Si ses mérites ne se détachaient pas avec le même relief que les dons si originaux de Costa, ils n’étaient pas moins nombreux dans leur solidité