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au château de Dubno, le prince de Condé en faisait les honneurs à l’émigration. La princesse de Monaco l’y aidait : le scandale de leur liaison était si ancien qu’aux yeux indulgens de l’époque il devenait fidélité. Cette femme, vaillante dans le mal comme dans le bien, avait suivi son amour jusque sur les champs de bataille, vendu pour l’armée jusqu’à sa vaisselle plate, n’était pas plus ménagère de sa réputation que de son argent, et toujours jeune malgré les années, et toujours princesse malgré les fautes, régnait sur une société qui n’avait pas droit d’être sévère et où les plus irréprochables avaient désappris d’être prudes. Mme de Montsoreau, pieuse entre toutes et qui chaque matin allait à la messe, ne se faisait pas scrupule de paraître chez la princesse et d’y conduire ses filles. Près du prince, le duc d’Enghien tenait aussi état de maison, et dans la paix comme dans la guerre, entraînait tout le monde, soldats et femmes, gens de cour et gens du peuple, dans l’élan d’une grâce mutine et héroïque. Autour d’eux s’empressait l’aristocratie de ce pays, russe par conquête, mais polonaise de race, où les émigrés trouvaient les élégances de leurs habitudes, la sympathie pour leurs mérites et le goût de leurs défauts. La Pologne « qui danse toujours » les entraîna dans son branle, et l’opulence des uns fit vis-à-vis à la pauvreté des autres dans un bal qui dura des mois.

Au printemps de 1799, autres plaisirs : la guerre recommence. Les Condéens apprennent qu’ils sont sous les ordres de Souwaroff, le plus célèbre des généraux russes, et qu’ils opéreront en Suisse où va se livrer l’action décisive. La Ferronnays reprend sa place dans les rangs ; M. de Montsoreau, qui suit le Duc de Berry, ne peut pas laisser en arrière sa femme et ses filles, car cette marche est le retour. « On s’en allait à cette guerre comme à une fête. Personne ne doutait qu’elle ne se terminât par une triomphale rentrée dans notre France que nous allions délivrer. Nos plus intimes, le prince Amédée de Broglie, de Saint-Marceau, le comte de Nassau, M. de Silly voyageaient en avant de l’armée pour faire les logemens. Ils avaient proposé à ma mère de faire route avec eux. Nous occupions donc chaque soir le logement que devait occuper, vingt-quatre heures après nous, M. le prince de Condé. » Le tout d’ailleurs était régulier. Mlle de Montsoreau se trouvant inscrites sur le rôle des cavaliers nobles. « Je ne sais trop comment la chose avait pu se faire, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle fut faite ; nous touchâmes notre solde, ma sœur