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avait été dit que c’était l’usage en France. » Voulez-vous connaître ce qui n’a pas d’âge, l’émotion de l’amour et la voix du bonheur ? « J’étais sa femme et pour moi, c’était tout. Les chances de la vie allèrent comme Dieu les fit, les vicissitudes se succédèrent. Des angoisses sans nombre suivirent. Mais j’étais sa femme. »


II

En même temps que se fixait leur sort s’achevait celui de l’émigration. Le 26 avril 1802, le Premier Consul ouvrait à presque tous les exilés les portes de la France. Un compromis était offert aux royalistes : accepter cette Révolution vainement combattue et recouvrer leurs biens non aliénés, échanger leurs espérances politiques contre la paix de leur existence privée. Presque tous acceptèrent. Bientôt il ne resta plus autour de la famille royale qu’un tout petit groupe d’insoumis : les chefs qui étaient exclus de l’amnistie ; les courtisans qui trouvaient près des princes l’importance, les vanités, le vivre et le couvert, plus la chance de se faire récompenser de tous ces avantages comme de dévouemens, si jamais l’exil se changeait en restauration ; enfin les fidèles véritables. Il est superflu de dire que La Ferronnays fut de ceux-ci.

L’Europe, favorable aux proscrits tant qu’ils étaient tenus hors de leur patrie par un régime de spoliation et de sang, cessa de comprendre ceux qui refusaient de reprendre leur place dans une patrie pacifiée et sous un régime glorieux. Ces sentimens sont bien marqués par Mme de La Ferronnays : « L’accalmie qui s’était faite en Allemagne depuis le Consulat y rendait la situation de nos princes et la nôtre absolument insupportables. On nous regardait comme fous de ne pas rentrer en France, et personne ne se gênait pour ridiculiser la cause que nous servions. » L’Angleterre seule, défendue contre tout apaisement par son dessein continu d’abaisser la France, et d’autant plus malveillante que montait notre fortune, échappa à l’influence exercée alors, même sur nos ennemis, par le génie de Bonaparte. Et c’est pourquoi ce qui restait d’émigration se trouva attiré en Angleterre. Le Comte d’Artois s’y était depuis longtemps établi. A la fin de 1802 le duc de Berry alla l’y rejoindre, et bientôt il réclama Auguste de la Ferronnays. M. de Montsoreau, qui, depuis le Consulat, tirait de France quelques ressources et craignait de ne pas les recevoir