Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respect pour le héros, on décida tour à tour de proclamer la « déchéance de la papauté, la plus nuisible des sectes, » de « propager la démocratie par la vertu, » de « renverser le mensonge et le despotisme, » d’« accorder à l’esclave seul le droit de faire la guerre contre les tyrans. » Il y eut une seconde d’indécision, lorsque Garibaldi proposa au Congrès d’« adopter la religion de Dieu ; » alors il expliqua de vive voix que « religion de Dieu, religion de la vérité, religion de la raison, sont synonymes, » et proclama, dans une lettre, que « la religion universelle de Dieu substitue aux prêtres Arbuès et Torquemada le sacerdoce des Leibnitz, des Galilée, des Kepler, des Arago, des Newton, des Quinet ; » le Congrès crut comprendre et fut satisfait. Quand Garibaldi se rassit, Barni demanda qu’il fût nommé président d’honneur, le Congrès acquiesça. Le feutre gris du vieux condottiere, le poncho américain rayé de noir qu’il portait sur ses épaules, sa chemise rouge, tout enfin dans son accoutrement, rappelait l’embuscade, le coup de force et le coup de main, l’aventure des siècles passés, des siècles où le droit des gens n’avait pas encore crayonné le code de la guerre ; et que le Congrès de la paix et de la liberté affichât publiquement le patronage du seul combattant du siècle qui eût constamment contrevenu aux lois élémentaires de la guerre, cela ne laissait point d’être piquant. C’est que le Congrès, peut-être, préférait la cause de la « liberté » — et liberté voulait dire révolution — à la cause de la paix.

Les trois salves d’applaudissemens qu’avait essuyées Garibaldi récompensèrent ensuite un officier hongrois, qui proclama comme indispensable la guerre des peuples contre leurs oppresseurs et commença sa propre confession : il s’était, en un temps, battu pour sa patrie, il avait été décoré, et ces décorations lui avaient fait quelque plaisir ; n’était-il pas alors, « esclave des idées erronées, comme le sont encore des millions d’aveugles ? » Et, pour secouer cet esclavage et éblouir ces aveugles, on vit l’orateur tirer de sa poche tout un paquet de croix et de rubans : « Ces distinctions, s’écria-t-il, ne sont pas dignes aujourd’hui de nous, hommes de la paix et du progrès ; aussi je vous prie, monsieur le président, de vouloir bien les vendre et d’acheter avec le produit quelque instrument de la paix, quelque livre utile au peuple... » L’histoire ne dit pas ce que fit Jules Barni du cadeau militariste du colonel Frigyezi. Un incident plus gênant fut amené par un Français dont nous taisons le nom : il déplora de voir