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ensemble, céder à cette contagion de vulgarité brutale et de bassesse ; car c’aurait été pour elle abdiquer et cesser d’être la poésie. Néanmoins l’école parnassienne, comme toute école réaliste, professe le dogme de la « soumission à l’objet. » L’objet, c’est ce qui est en dehors de nous, indépendant de notre volonté, et à quoi notre fantaisie vient se heurter comme à la pierre d’une muraille. C’est le paysage arrêté dans ses contours et dont se dégage une âme qui n’est pas la nôtre ; c’est le tableau d’histoire évoqué dans le cadre exact que nous impose une érudition minutieuse ; c’est la scène de la vie moderne représentée dans un décor qui plus tard en attestera la date ; c’est l’anecdote où se mêlent des figures individuelles ; ou c’est encore la vérité objective d’une idée de philosophie. Dans les poèmes de cette école, l’abondance et la précision des détails ne laissent à l’interprétation de chacun aucune liberté. L’horizon est limité de toutes parts et ne laisse rien apercevoir au delà. Les images du style sont nettes et les métaphores bien suivies ; le vers est d’une harmonie pleine et d’une coupe prévue ; il a l’éclat du métal et la dureté du marbre. Le rêve du poète est captif dans cette prison magnifique et sonore. Il aspire à se libérer. Et, comme il faut bien s’appuyer sur quelque chose et trouver du secours, la poésie fait alliance avec un art voisin. Les parnassiens avaient tenté de s’approprier les procédés des arts plastiques : les symbolistes emprunteront ceux de la musique. Il est à peine besoin de rappeler les conseils que donne Verlaine dans son Art poétique :


De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère l’impair
Plus vague et plus soluble dans l’air.
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’indécis au précis se joint.


On n’a jamais réussi à montrer en quoi les rythmes impairs sont plus légers que d’autres, ni surtout à prouver que l’impropriété des termes puisse être une qualité ; mais ce qu’il nous suffit de retenir, c’est le principe d’une poésie plus musicale. Ainsi se trouve caractérisé le symbolisme. Il est dans son essence une réaction idéaliste, dans ses moyens une tentative de rapprochement entre la poésie et la musique.

On a toujours fait ce reproche à notre poésie française, que les procédés dont elle se sert sont trop semblables à ceux de nos genres en prose. Elle décrit, elle expose, elle raconte, elle met en scène. Elle