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Il y eut un moment de silence : et des coups d’œil furieux furent lancés au baron.


Le prince Yamont est contraint d’obéir à l’ordre du castellan. Mais, avant de remettre le prisonnier aux mains des archers royaux, il l’engage, amicalement, à se tuer dans sa prison : « car lui-même avait été épouvanté de la colère du Roi. » — Plutôt que de te laisser couper la tête en présence de ton ennemi, pends-toi à un des barreaux de la fenêtre ! Chez nous, c’est ce qu’on fait toujours !


— Que je me pende ! s’écria le jeune homme, lorsqu’il eut compris ce que le prince Yamont lui murmurait à l’oreille. — Ah ! on vous a baptisé, mais vous gardez toujours votre peau de païen ! Ne savez-vous pas que c’est péché, pour un chrétien, de se donner la mort ?

Le prince haussa les épaules.

— C’est ou ce n’est pas un péché, suivant les motifs qu’on a de le faire, répondit-il. Et puisque, de toute façon, on te coupera le cou…

À ces paroles, Zbyszko se fâcha. Un désir lui vint de provoquer le prince à se mesurer avec lui, à cheval ou à pied, avec l’épée ou avec la hache. Mais il se contint, détourna la tête et, escorté par les archers, il franchit, sans rien dire, le seuil de sa prison.


Cependant la jeunesse de Zbyszko, sa belle mine, et l’audace de son acte ont touché tous les convives. Le Roi lui-même, après s’être fait raconter les circonstances de l’agression, insiste auprès de Lichtenstein pour qu’il pardonne au jeune homme. Mais le baron allemand refuse de se laisser fléchir. « Il ferma les yeux et resta quelque temps immobile, la tête haute, prenant plaisir à entendre les supplications des princesses et de la salle entière. Puis, soudain, son expression changea ; il baissa la tête, croisa ses mains sur sa poitrine, et dit, d’une voix douce : — Le Christ, notre sauveur, a pardonné à ses ennemis : il a pardonné même au larron sur la croix. — Ah ! voilà un vrai chevalier ! s’écria l’évêque de Cracovie. — Comment donc pourrais-je ne point pardonner, poursuivit Kuno, moi qui suis non seulement un chrétien, mais aussi un moine ? Je pardonne, en vérité, de tout mon cœur, n’étant que le plus humble des serviteurs du Christ ! — Honneur à lui ! cria Powala de Taczew. — Honneur, honneur I répétèrent tous les assistans. Mais le baron n’avait point fini de parler. — Je pardonne, reprit-il, pour ce qui est de moi. Mais je suis venu ici parmi vous en qualité d’envoyé de mon Ordre, et je porte dans ma personne la majesté de mon Ordre, qui est l’Ordre du Christ, de telle sorte que quiconque m’outrage outrage le Christ lui-même. Or, une offense aussi