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peu des fatalités naturelles à la libre vie de l’esprit. Pour le matérialisme de Marx, au contraire, toutes les idées, même morales, sont les masques que prennent les besoins et intérêts. Engels, dans son écrit sur Feuerbach, réduit l’éthique socialiste à la lutte des classes : l’amour du prochain est pour lui une « vieillerie. » Lutte et révolution, voilà la seule méthode raisonnable. « De la révolution, non de la morale, viendra l’égalité. » En appeler à la morale et au droit, « ne nous fait pas avancer scientifiquement d’une seule ligne. » La « science » économique ne peut voir dans l’agitation morale, même si elle est légitime, « aucune raison démonstrative, mais seulement un symptôme. » Et Calwer ajoute : « Ces paroles d’Engels devraient être affichées dans le bureau de rédaction de toute feuille du parti. » La question économique supprimera d’abord la question juridique et rendra les lois inutiles. Selon M. Van Kol, un jour viendra où la société pourra se passer de système juridique, où le communisme devenu anarchique réalisera sur terre la plus complète liberté. L’administration sera confiée aux meilleurs, les chefs représenteront la volonté collective, et tous les citoyens n’auront d’autre but que le bien commun. M. Vandervelde aspire, lui aussi, « à la communauté anarchiste, débordante de fraternité et de richesse, où chacun, faisant ce qu’il voudrait, comme dans l’abbaye de Thélème, donnerait selon ses forces et prendrait selon ses besoins[1]. »

Avec le droit disparaîtra la religion. Un temps viendra, selon Marx, où, la science étant souveraine, le sentiment religieux sera devenu inutile. Le « reflet religieux du monde réel » s’évanouira alors ; mais il ne pourra se dissiper que « lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparens et rationnels avec ses semblables et avec la nature. » La vie sociale « ne sera dégagée du voile mystique qui en dérobe l’aspect que le jour où s’y manifestera l’œuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social. » Pour Engels, la religion n’est qu’une expression poétique des rapports physiques et sociaux ; elle forme « un système préscientifique » qui n’aura plus de raison d’être le jour où la science sera pleinement constituée.

Enfin la morale elle-même, qui est la dernière des religions, deviendra superflue. Selon M. Lafargue, ce qu’on appelle la morale,

  1. Le socialisme en Belgique, p. 283.