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ne puisse pas s’y tromper : Quælibet hora ad mortem vestigium. C’est à cette époque aussi qu’on ciselle des montres portatives à la ressemblance d’une tête de mort où les citations d’Horace alternent avec la Bible pour terrifier ceux que l’aiguille renseigne[1]. Au lieu des Rois mages et des douces vertus chrétiennes qui entouraient l’heure au moyen âge, ce sont les dieux païens, et les plus sombres qui viennent symboliser la fuite du temps. C’est Chronos ou Saturne, le Temps qui dévore tout ce qu’il a créé, armé du sablier qui mesure la vie et de la faulx qui la tranche, c’est lui qui fait le premier son apparition. Vous le verrez gambadant sur la tôle peinte d’une vieille horloge du XVIe siècle qui se trouve dans la Rétrospective de l’horlogerie (collection Planchon), où il offre les apparences à la fois sauvages et cavalières plutôt d’un diable que d’un Dieu. De l’obscure place qu’il occupe ici, au XVIe siècle, le vieux porte-faulx s’élancera, dès le siècle suivant, sur le sommet de toutes les pendules. On ne sait trop d’où il vient, ni ce qu’il y fait. Son identité mythologique est incertaine ; son rôle décoratif est multiple. Il porte une faulx comme la mort, une barbe comme Jéhovah, des ailes comme un ange, et un torse puissant comme Hercule vieilli. D’ailleurs, il ne fauche jamais. Tantôt il se sert de son arme comme d’un index pour montrer l’heure sur une sphère qui tourne, comme dans la salle du trône à Windsor. Tantôt il l’agite comme un guidon à l’extrême sommet, comme sur ces horloges de Boulle, avec console et marqueterie d’écaille, ou bien sur ces pendules d’applique, nombreuses au Petit Palais.

Tantôt il supporte le globe céleste tout entier qui est lui-même une pendule et ressemble à Atlas. Tantôt, d’un large geste, il découvre la figure de l’Histoire, comme dans ce grand cartel en bronze doré attribué à Crescent que vous voyez au Petit Palais. Tantôt enfin il a laissé choir son arme et, couché lui-même au pied du cadran, il ne s’occupe plus qu’à peser les actions des hommes dans une juste balance, comme au régulateur du cardinal de Rohan. Ou bien, tendre aux faibles et dur aux superbes, comme dans le cartonnier de Frédéric le Grand[2], il foule aux pieds la tiare et la couronne et il berce un enfant. En même temps les déesses de la fatalité se sont assises sous le cadran et

  1. Des exemples s’en trouvent à la Rétrospective de l’Horlogerie, collection Paul Garnier et collection de Mme Ollivier.
  2. Collection Frédéric le Grand, au Pavillon allemand.