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le cadran, dévoile aux hommes l’heure, comme on le voit sur la pendule de la chambre Louis XVI[1]. L’idée est qu’il faut cacher les rides de la vie sous le sourire de la vie. Regardez la pendule de Falconet. Ce n’est plus le vieux Saturne, mais les Grâces qui marquent, — et non plus de la pointe d’une faulx, mais du bout de leurs doigts, — les heures. Les Grâces, ou Charités, sont les sœurs des heures, si elles ne sont pas les heures elles-mêmes. Elles ont laissé tomber les voiles que Germain Pilon, deux siècles auparavant, leur avait assez mal attachés quand il leur fit porter les reliques de Henri II ; elles ont désenlacé leurs mains pour nouer des guirlandes, et sur leurs têtes, qu’elles ont désunies, l’urne autrefois funéraire ne contient plus les cendres d’un roi, mais la poussière des heures qui ne sont plus.

Que s’est-il passé depuis lors ? Les dieux le savent peut-être, mais les dieux sont partis... Un siècle de hâte a remplacé un siècle de loisir. On n’a plus senti le besoin d’embellir ce qui est utile. M. Benoiton n’était curieux que de l’heure. Si nous traversons l’avenue Nicolas II, nous aurons franchi toute la distance qui sépare un siècle artiste d’un siècle riche. Après les symboles chrétiens, après les dieux terribles du paganisme, après les dieux païens rians et tendres, il n’y a plus de dieux du tout. Car des bourgeois vêtus d’ailes, ou embarrassés de glaives, ne sont pas plus des divinités que les « hommes de bronze » de nos réjouissances foraines ne sont des statues. Regardons ces pendules de la Centennale du Meuble. Les ennemis du Beau n’ont jamais rien machiné de plus perfide. Car ces « sujets » contiennent assez de souvenirs des allégories anciennes pour les rendre ridicules aux esprits superficiels par le travestissement lamentable qu’ils leur ont donné. Çà et là paraissent de timides tentatives d’art. Ici, les Trois Grâces de Germain Pilon reviennent porter les heures dans un globe de cristal ; et, plus loin, les Trois Grâces de Falconet se retrouvent dans les Trois Heures de Bonassieux, sculptées pour la grande Horloge de la Bourse de Lyon : médiocre exécution, mais idée gracieuse : l’heure présente, qui est une jeune fille debout, se penche attirée par sa sœur endormie, l’heure passée, et tend la main à sa sœur, l’heure future qui s’éveille….. Hors cet essai, tout n’est que barbare opulence.

Enfin, aujourd’hui, le souvenir même des dieux a disparu.

  1. Au Musée centennal du Mobilier, aux Invalides.