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la pensée le cadran. Que mettra l’artiste à la place du trou béant ? Toutes les lignes y conduisent l’œil, toutes l’encadrent ; c’est sur lui que se penchent les chevaux du Soleil, c’est vers lui que grimpent toutes les volutes nées au pied de l’édifice. Au contraire, dans toutes les pendules du Grand Palais et des Invalides, si vous ôtez le cadran, le reste n’en va que mieux ; vous ne détruisez pas un édifice : vous le restituez, au contraire, dans son intégrité primitive. Le cygne qui se tord sur la cheminée du marquis d’Aligre[1] se porterait fort bien, sans l’horloge qu’on lui a mise dans le ventre, et dont il paraît grandement incommodé. La statue égyptienne qui est à côté, dans la chambre Directoire, paraît fort déconfite des trois cadrans dont on l’a ceinturée, comme on fit Sancho Pança de trois boucliers.

Le mauvais goût pouvait aller plus loin encore. On a profité de la forme ronde du cadran pour le travestir en une roue de carrosse, ou en un fond de baril, ou en une roue de canon, formes à double entente qui, de tout temps, ont charmé les ennemis du beau, comme des calembours esthétiques, et par où le mauvais goût de notre siècle a remporté ses plus éclatans succès[2].Jamais loi décorative ne fut plus clairement démontrée que par cette contre-épreuve. Car, si l’objet disparaissait, non seulement on ne serait pas embarrassé pour le remplacer, mais on pourrait restituer l’autre objet dont il a indûment pris la place : roue, coupe ou baril. Et, pas plus que des Bacchantes n’ont été groupées pour faire valoir les lignes d’un tonneau, ni Vénus et ses colombes pour faire admirer celles d’une roue, on ne peut trouver dans ces sujets la moindre appropriation de l’ensemble décoratif aux lignes de l’objet décoré[3].

Telle est la loi que ces exemples peuvent nous fournir. Mais c’est la seule. Cette appropriation qu’ils indiquent est purement formelle, simplement linéaire, rigoureusement plastique. Dès l’instant que les lignes de l’horloge conduisent harmonieusement l’œil aux lignes nécessaires du cadran, l’art est sauf. Il n’est pas nécessaire que la décoration suive la forme du mécanisme, ni qu’elle révèle très clairement la fonction de l’engin. Une théorie moderne et fort répandue voudrait que la clarté de

  1. Chambre Louis-Philippe. Centennale du Mobilier et de la Décoration, aux Invalides.
  2. Au Petit Palais, n° 3 022.
  3. Au Petit Palais. Pendule de Germain.