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Et il faudrait qu’on lui trouvât une forme belle et nouvelle, à ce signe si souvent consulté. Ce qu’il fut dans le passé n’est rien auprès de ce qu’il est aujourd’hui. C’est lui qui a la première place dans nos maisons modernes : autel du seul dieu dont nous ne méconnaissions pas la puissance, seul autel auquel nous sacrifions encore nos plaisirs les plus aimés, seul signe qui régisse nos actes. Chacune de nos demeures, chaque chambre dans chacune de ces demeures, est un temple pour lui, et nous levons plus souvent nos yeux vers lui que vers le ciel... Augure à qui nous demandons tantôt de parler et tantôt de se taire, selon que nous voulons étouffer les voix intérieures ou les écouter mieux, dieu multiforme, rouet qui tourne, flot qui coule, aile qui bat, témoin de pierre ou de métal, désignant nos actes de son doigt ironique et sonore, qui tantôt est un reproche et tantôt un appel : telle est l’Heure pour les hommes de notre génération. Sur son autel, si nous mettons une fleur, le dieu qu’elle sert la fait périr, quelle que soit l’offrande, le dieu qu’on adore en elle, la corrompt, la dissout et l’ignore. Ce n’est pas une fileuse armée de ciseaux. Les ciseaux ne coupaient que les destinées. La faulx ne tranche que la vie. Le dieu de l’heure tranche plus que la vie : il est ce que le poète anglais appelle « la mort dans la vie : » la mort de la foi, le dépérissement de la confiance et de l’amour.

Mais il marque encore autre chose, et le symbolisme n’est pas complet qui ne nous en fait jamais souvenir. Il semblerait, à lire toutes les devises : Hora fugax ; Velox praeterit hora ; répandues sur les cadrans solaires, que le Temps ne nous apporte rien, qu’il emporte tout, qu’il n’a d’armes que pour frapper, et qu’il n’a d’ailes que pour fuir. On oublie la retouche du vieux poète :


Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame,
Las ! le temps, non ; mais nous nous en allons...


C’est un phénomène étrange que, parmi toutes ces figurations du vieux Chronos, vous en chercheriez vainement une où il soit représenté la truelle ou le marteau à la main. Il y a bien, au château de Windsor, une pendule de Vuillamy, où deux figures en biscuit de Chine bâtissent une colonne de marbre avec une équerre et un fil à plomb, mais ces figures sont des Amours. Vous trouverez l’amour vainqueur du Temps, plus d’une fois, et notamment à Versailles, sur la cheminée du grand Roi. Mais vous ne