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à l’année 1546 une lettre datée du 6 février, et adressée de Metz au cardinal du Bellay. C’est un cri de détresse et de désespoir qu’il y pousse. « Certainement, monseigneur, si vous n’avez pitié de moi, je ne sache que doive faire, sinon en dernier désespoir me asservir à quelqu’un de par de çà avec dommage et perte évidente de mes études. » Si cette lettre est bien de 1546, est-ce l’intervention du cardinal qui procura peut-être à Rabelais les fonctions de « médecin de la cité de Metz » qu’il remplit durant une année tout entière ? Mais si elle est de 1547, le cardinal entendit son appel, et quand lui-même eut reçu de la Cour, à l’avènement d’Henri II, comme les autres cardinaux français, l’invitation de se rendre à Rome, son « médecin ordinaire » l’y suivit pour la troisième fois. Il y était encore en 1549, et, sans doute, pour essayer de rentrer en grâce, ainsi que son patron, c’est de là qu’il adressait au cardinal de Guise, à Paris, sous le titre de la Sciomachie, le récit des « Festins (fêtes) faits à Rome au palais de monseigneur révérendissime cardinal du Bellay, pour l’heureuse naissance de Monseigneur d’Orléans. »

Les conditions dans lesquelles il revint en France ne nous sont guère mieux connues que celles de son départ ou de sa fuite précipitée de 1546. Son habileté, dont nous pouvons sans doute commencer à parler maintenant, dut l’y servir, et certes, on l’a fait justement remarquer, ce n’était pas une preuve de peu d’adresse que d’avoir comme réconcilié, dans la protection de sa personne, les trois ennemis qu’étaient le cardinal du Bellay, le cardinal de Guise, et le cardinal de Châtillon. On a vu ce qu’il devait au premier. Ce fut sans doute le second qui lui fit obtenir la cure de Meudon : les Guise venaient d’acheter la terre de Meudon à la duchesse d’Etampes. Nous sommes en 1550. L’année suivante, c’était le troisième, — la dédicace du Quart livre en fait foi, — qui obtenait pour lui du roi Henri II un « privilège » dont les termes ont quelque chose encore de plus particulier que ceux du privilège de 1546. Et, à la vérité, quand le Quart livre[1] paraissait, en 1552, chez Michel Fezendat, ce privilège n’empêchait ni la Sorbonne de censurer l’auteur, ni le Parlement d’interdire la circulation du livre ; mais, l’un après l’autre, tous les obstacles qu’on avait élevés, tombaient, et le livre repartait de plus belle.

  1. Il ne faut pas oublier ici de noter que onze chapitres de ce Quart Livre, — il en compte soixante-sept dans l’édition de 1552, — avaient une première fois paru en 1548, et une seconde à la suite de plusieurs éditions des trois premiers livres.