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toutes les parties, nous ne dirons pas que toutes les obscurités de son livre en soient comme éclairées ou dissipées du même coup, mais elles en deviennent cependant moins obscures, et son intention n’a plus rien d’une énigme. Nous pouvons mesurer la portée de sa satire. Théologiens, moines ou chats fourrés. Chicanons ou simples pédans, — de l’espèce de maître Janotus ou du « vieil poète françoys » qu’il a Raminagrobis appelé, — ce que Rabelais attaque en eux, ce sont autant d’ennemis de Nature. Et en effet ne sont-ce pas tous ceux qui la déforment sous prétexte de la redresser et qui, pour l’améliorer ou la perfectionner, commencent par s’en éloigner ? Là encore est le vrai motif de son opposition au calvinisme naissant : il n’entend pas s’être émancipé d’une discipline pour en subir docilement une autre, ni de la « benoîte ville des Papimanes, « n’être sorti que pour tomber dans « l’isle désolée des Papefîgues. » Si l’on a pu quelquefois s’y tromper, c’est qu’on n’a pas fait attention aux dates. Avant 1536, on a pu croire qu’il inclinait vers le protestantisme, et, en effet, il « protestait ! » Admettons que ce soit contre les mêmes choses que le protestantisme. Mais il n’a pas moins « protesté, » ni moins énergiquement, dès qu’il a eu connu l’Institution chrétienne ; et contrainte pour contrainte, il n’a pas plus voulu de la calvinienne que de la catholique. N’étaient-elles pas toutes deux ennemies de Nature ? Et qu’y a-t-il enfin dans sa pédagogie, dont on a fait tant de bruit, trop de bruit peut-être ? En quoi consiste-t-elle, et quelle en est la tendance évidente, sinon de « libérer l’instinct, » de rendre la nature à elle-même, et l’être humain à ses impulsions ? S’en cache-t-il, d’ailleurs ? En aucune manière, et son langage est assez clair :


« Toute la vie des Thélémites était employée non par lois, statuts ou règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, dormaient, travaillaient quand le désir leur en venait. Nul ne les esveillait, nul ne les parforcait ni à boire, ni à manger, ni à faire autre chose quelconque. Ainsi l’avait établi Gargantua. En leur règle n’était que cette clause :


FAIS CE QUE VOUDRAS

Parce que gens libérés, bien nés, bien instruits, conversans en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pousse a faits vertueux, et retire de vice : lequel ils nommaient honneur. Iceux, quand par vile subjection et contrainte sont réprimes et asservis, détournent la noble