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souveraine, ils n’avaient pas envisagé mûrement, lorsqu’ils autorisaient la démarche des délégués hellènes, les moyens d’assurer l’exécution des décisions qu’elle provoquait et faisait prévoir. En outre, ils avaient négligé toute entente avec la Porte, ce qui était assez étrange, puisque enfin il s’agissait d’obtenir d’elle la cession d’une partie de son territoire. Il semblait cependant que ce fût par là qu’il eût fallu commencer, et que le premier point dût être de savoir comment on ferait respecter la décision qu’on allait prendre, et le second, de poursuivre avec la Turquie des pourparlers dont il était moralement impossible de l’exclure. Autrement, les Cours risquaient de se trouver en face de ses refus, acculées soit à une conciliation qu’il eût été meilleur alors de tenter au préalable, soit à des mesures violentes auxquelles on ne voulait point recourir. On s’avançait donc dans la brume.

Deux circonstances que je dois rappeler, et que les rares survivans du Congrès retrouveront sans doute comme moi dans leurs souvenirs, expliquent sa conduite assez aventurée. D’un côté, la haute assemblée, dont les membres étaient les ministres dirigeans et les ambassadeurs de toutes les grandes Puissances, se considérait, avec raison d’ailleurs, comme l’Europe elle-même, c’est-à-dire l’ensemble des élémens qui, lorsqu’ils sont réunis, gouvernent le monde : le siècle n’avait vu que deux fois, à Vienne en 1815, à Paris en 1856, des assises aussi solennelles. Or le Congrès de Berlin, appelé à régler entre la Russie et la Turquie les conséquences d’une guerre sanglante, à mettre d’accord, s’il était possible, les intérêts slaves et l’existence de l’Islam, et à préparer une paix durable, regardait l’affaire grecque comme un accessoire, et, plein de confiance dans le prestige de son autorité suprême, ne supposait pas une opposition à sa volonté, ou, s’il la supposait, n’admettait pas qu’elle pût être prolongée ni sérieuse. Quant à l’échange d’idées qu’il eût été convenable d’établir avec la Porte sur la question grecque, il faut bien dire que la position des plénipotentiaires ottomans était trop effacée dans ce cénacle pour que leurs collègues eussent la pensée de les associer par une discussion intime aux projets de l’Europe. J’ai rappelé plus haut que le renégat Méhémet-Ali était assez mal vu ; Sadoullah-Pacha, bien qu’ambassadeur à Berlin, n’avait aucun crédit, et pour Carathéodory, qui était de race et de religion grecques, on supposait son influence médiocre à Constantinople, surtout dans l’affaire hellène. Je l’ai beaucoup connu et estimé : c’était un