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commune. Au fond, elles ne s’entendaient pas d’une manière bien précise sur les textes du protocole et du traité de Berlin. M. Waddington leur conservait une portée effective, et démontrait même l’opportunité de la cession de l’Épire dans une note développée sur les conditions ethnographiques de cette province habitée par 237 000 chrétiens, et seulement 47 000 musulmans. Il appréciait comme décisif l’accord unanime des Cabinets. Quant à lord Salisbury, il penchait tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre : il semblait parfois n’attribuer qu’un caractère général aux indications du Congrès, et parfois, comme dans une dépêche du 19 juin, il se montrait très favorable à l’annexion des territoires en cause : il émettait même cet aphorisme « qu’une politique consistant à réduire les bornes de l’Empire proportionnellement à sa puissance actuelle était seule capable d’en assurer l’existence. » Les autres Cours n’étaient pas moins incertaines : elles ne pouvaient dire qu’elles eussent adjugé l’Epire et la Thessalie à la Grèce, et il était toutefois visible qu’elles n’avaient pas considéré les actes du Congrès comme l’expression d’une simple opinion platonique, puisqu’elles avaient concentré leur pensée dans une formule géographique. Leurs idées, évidemment, n’étaient pas bien fixées, et elles hésitaient, en tout cas, à interposer leur médiation sans avoir épuisé tous les moyens possibles de se soustraire à cette procédure compromettante. C’est pourquoi elles résolurent de l’ajourner encore en reprenant, sous une autre forme, les pourparlers de Prévéza. Cette fois, ce fut à Constantinople que des plénipotentiaires ottomans et hellènes furent invités à se réunir. Le Sultan désigna le ministre et le sous-secrétaire d’État des Affaires étrangères, Safvet et Sawas-Pacha, et le roi Georges, ses ministres à Constantinople et à Saint-Pétersbourg, MM. Coundouriotis et Braïlas Arméni.

Sans doute il peut arriver parfois qu’en changeant le lieu d’une négociation et les hommes qui la conduisent, on la modifie elle-même ; mais, quand il s’agit d’une difficulté de principe et de prétentions directement contraires, le dissentiment reparaît n’importe où l’on traite et quels que soient les agens des adversaires. Les objections réciproques se reproduisirent donc immédiatement à Constantinople, et après quelques séances, encore bien qu’on eût pris le protocole de Berlin pour base tout en admettant qu’il pût être amendé, on dut reconnaître que cette concession même était inutile, et que jamais une discussion entre les deux