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Monsieur avait souffertes du Roi et du cardinal de Richelieu au sujet de ce mariage n’avaient fait qu’assurer la constance de Monsieur pour Madame. » Ils éprouvaient un grand embarras. C’est une épreuve que de se retrouver au bout de neuf ans. Monsieur avait peu changé, sauf qu’il était sujet maintenant à des accès de goutte qui le gênaient pour pirouetter. Madame parut fanée et fagotée ; mais on l’attendait à l’œuvre.

Leur mariage régularisé, ils vinrent s’établir au palais du Luxembourg. La cour vit une femme accablée et dolente, une malade imaginaire qui se croyait toujours près d’expirer : « Elle ne sortait presque jamais, raconte Mme de Motteville ; elle disait que la moindre agitation la faisait évanouir. Et j’ai vu quelquefois Monsieur se moquant d’elle, contant à la reine qu’elle communiait dans son lit plutôt que d’aller dans sa chapelle qui était proche, sans qu’elle parût avoir aucune maladie considérable. Quand elle venait chez la reine, en deux ans une fois, elle se faisait apporter en chaise ; mais avec tant de façons, que son arrivée au Palais-Royal était toujours célébrée à l’égal d’un petit miracle. Souvent elle n’était qu’à trois pas du Luxembourg qu’il fallait la rapporter, comme étant attaquée de plusieurs maux qu’elle disait sentir, et qui ne paraissaient nullement. » Monsieur lui faisait l’effet d’un foudre de guerre. Elle lui prêchait la prudence du matin au soir, le grondait du matin au soir, par inquiétude ou pour toute autre raison, et lui le supportait, ne bougeait de chez sa femme, tout en se moquant d’elle très librement. Madame « aimait Monsieur ardemment. » Monsieur le lui rendait avec le décousu qui était la marque de son naturel : — « On peut dire qu’il l’aimait, dit Mme de Motteville, mais qu’il ne l’aimait pas souvent. » Ce ménage original parut aux Parisiens n’avoir rien d’héroïque, pas plus d’un côté que de l’autre. Mademoiselle ne tarda pas à se désoler d’entendre perpétuellement recommander la prudence à son père, à qui elle n’en trouvait déjà que trop, et ses relations avec sa belle-mère, cordiales au début, devinrent de pure bienséance. — « Je faisais tout mon possible, disait-elle plus tard, pour me conserver ses bonnes grâces, que je n’aurais jamais perdues, si elle ne m’avait donné sujet de les négliger. » Elles étaient trop différentes ; elles ne pouvaient rien l’une pour l’autre.