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ses gens étaient venus lui demander de l’argent, et lui avaient dit qu’ils la quitteraient si elle ne leur en baillait : ce qu’elle n’avait pu faire. »

Le spectacle de ce dénuement, joint au tour tragique que prenait « le malheur des affaires d’Angleterre, » avait de quoi donner à réfléchir. Le jeune prince de Galles n’était pas, pour l’instant, un parti séduisant. — « Si je l’épousais, disait sa grande cousine, je ne pourrais jamais m’empêcher de vendre tout mon bien et le hasarder pour conquérir son royaume. « Elle ajoute avec sa franchise coutumière : — « Mais aussi ces pensées —là m’effrayaient un peu, parce que, ayant toujours été heureuse et nourrie dans l’opulence, ces réflexions m’épouvantaient fort. » Il aurait fallu que la personne et l’humeur du prétendant plaidassent pour lui. Si le prince de Galles avait été un nouveau Cid, la Grande Mademoiselle, — sa vie entière nous en est garante, — aurait méprisé joyeusement la prudence. Elle l’aurait épousé, et serait partie avec lui « pour conquérir leur royaume. » Mais on lui montrait un écolier timide, son cadet de trois ans, plus occupé de chasse que de politique, ne sachant pas où en étaient ses propres affaires, et qui lui faisait la cour gauchement, en perroquet, pour obéir à Madame sa mère. Quand la reine d’Angleterre avait oublié de lui faire la leçon et de lui préparer son discours, il restait coi, ne desserrant les dents que pour dévorer de « grosses viandes. » A un dîner de cérémonie chez la régente, « il ne mangea point d’ortolans et se jeta sur une énorme pièce de bœuf et sur une épaule de mouton, comme s’il n’eût eu que cela : son goût, poursuit Mademoiselle, me parut n’être pas délicat, et je fus bien honteuse qu’il ne fût pas aussi bon en cela qu’il le témoignait avoir sur ce qu’il pensait pour moi. » Après ce même dîner, on les laissa en tête à tête. — « Il y fut un quart d’heure sans me dire un seul mot : je veux croire que son silence venait plutôt de respect que de manque de passion. J’avoue le vrai, qu’en cette rencontre, j’eusse souhaité qu’il m’en eût moins rendu. » Le jeune prince s’acquittait en conscience des choses à sa portée, comme de regarder longuement sa cousine ou de tenir le flambeau tandis qu’on la coiffait ; mais il n’avait rien à lui dire, n’étant qu’un grand garçon à l’âge bête, et pas plus un Chérubin ou un Fortunio qu’un Rodrigue : — « Point de douceurs, » déclare Mademoiselle. Pas davantage, — chose plus grave avec elle, — de ces propos magnifiques et sonores auxquels les élèves de Corneille reconnaissaient