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Monsieur prirent cependant ou feignirent de prendre l’affaire au sérieux, et il en résulta une scène violente.

Un après-midi[1], au Palais-Royal, l’abbé de La Rivière prévint Mademoiselle, en passant, que son père et sa tante étaient dans une grande colère contre elle. Presque au même moment. Monsieur sortit de la salle du conseil et appela sa fille : — « J’entrai dans la galerie de la Reine ; Mme de Guise, qui était avec moi, me suivit. Monsieur lui ferma la porte au nez avec assez de furie ; ce qui m’eût dû effrayer, si ma conscience m’eût causé quelques remords. J’étais fort tranquille, je me sentais innocente de l’accusation formée contre moi ; j’avançai vers la Reine qui me salua d’une mine en colère ; elle dit à M. le cardinal Mazarin : — « Il faut attendre que son père soit venu. » Je me mis dans une fenêtre, qui était plus élevée que le reste de la galerie, et j’écoutai là avec toute la fierté qu’on peut avoir quand on a la raison de son côté… Comme Monsieur fut venu, la Reine commença d’un ton assez aigre : « Nous savons, votre père et moi, les menées que vous avez avec Saujon et les grands desseins qu’il avait. » Je répondis que je n’en avais nulle connaissance ; que j’avais bien de la curiosité de savoir ce que Sa Majesté voulait dire, et qu’elle me ferait bien de l’honneur de me l’apprendre. »

On voit le tableau. Anne d’Autriche surexcitée, et parlant avec le fameux fausset qui lui donnait une teinte de vulgarité. En face d’elle, juchée sur son embrasure de fenêtre et la regardant du haut en bas, la Grande Mademoiselle, calme et insolente. A côté de la reine, ce pauvre Monsieur, la tête plutôt basse, car il redoutait les sorties de sa fille. Un peu en arrière, le cardinal Mazarin, qui s’amusait beaucoup et ne s’en cachait point. La partie n’était pas égale ; on ne pouvait reprocher à Mademoiselle qu’un projet en l’air qu’elle désavouait avec mépris, le disant digne des Petites-Maisons, tandis que ce n’étaient point des choses en l’air que les têtes de Cinq-Mars et de Chalais, livrées par Monsieur, ou les interrogatoires humilians subis par la reine au temps de Richelieu. — « Il est fort beau, disait Anne d’Autriche, qu’une personne qui est attachée à votre service, pour récompense vous lui mettiez la tête sur l’échafaud. — Au moins ce sera le premier, ripostait sa nièce. — Répondez donc à ce qu’on vous demande, » reprenait la reine. « J’obéis, poursuit Mademoiselle,

  1. Le 6 mai 1648, d’après Olivier d’Ormesson.