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suite est de la main du second. Le livre de bord se continue ainsi, à la date du 14 :

« Hier, moi Brown, second, ai pris le commandement du navire. L’équipage est venu me retirer des fers, disant que le capitaine était disparu et que le navire allait périr. Toute la nuit nous avons lutté contre la tempête. Quelques avaries... Durant ce temps, aucune nouvelle de notre chef. Personne ne sait ce qu’il est devenu ou tout au moins ne veut me dire ce qu’il sait. Le pauvre homme était si singulier dans ces derniers temps qu’il a dû se jeter à la mer. Je ne vois pas d’autre explication, au moins quant à présent. »


A l’arrivée dans le port de Liverpool, le second s’empressa d’aller tant au consulat d’Italie qu’aux magistrats du comté faire ses déclarations.

Les autorités ordonnèrent une enquête. Le coroner la dirigea avec le plus grand zèle, assisté du consul. Tout l’équipage fut interrogé homme par homme et à plusieurs reprises. De cette enquête, que nous résumons ici, il résulte que le capitaine Molfredo était atteint depuis fort longtemps d’hallucinations du caractère le plus pernicieux. Déjà, une première fois, dans l’Océan Indien, puis durant la traversée de Sidney à Portland, il avait été pris de colères soudaines, incompréhensibles, au cours desquelles il proférait, on ne sait contre qui, des menaces terribles. Aussi nombre d’hommes, persuadés qu’un pareil chef les conduisait à leur perte, désertèrent-ils à Portland, ce qui obligea le capitaine à engager d’autres matelots. Le lieutenant, un Maltais, refusa également de rester.

Les hommes qui manquaient furent remplacés par les soins d’un marchand d’hommes nommé Roslyn, avec qui le capitaine semblait d’abord dans les meilleurs termes. Cependant, le Città di Messina n’eut pas plutôt levé l’ancre que Molfredo éclatait en menaces furieuses contre ce Roslyn qui, soi-disant, voulait le faire assassiner, afin de gagner deux cent mille francs. Par la suite l’équipage devait souvent entendre le capitaine proférer ces propos et bien d’autres du même genre, auxquels personne abord n’a jamais rien compris.

D’ailleurs, entre temps, le capitaine était repris de ses crises nerveuses. Quand elles arrivaient à leur paroxysme, le malheureux voyait partout des fantômes. Deux fois, pendant la nuit, il tira des