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que nous-mêmes, nos compatriotes remportent sur leurs rivaux des avantages marqués.

Mais l’âpreté de la lutte, où faillit se tarir une des sources les plus abondantes du travail national, montre à quel point les patrons sont peu maîtres de fixer à leur gré le taux des salaires qu’ils distribuent ; et l’on ne doit pas manquer de s’en souvenir, lorsqu’on s’intéresse aux classes laborieuses et que l’on recherche les moyens pratiques d’améliorer leur sort.

Il semble, par un contraste facile à évoquer, que, dans le monde où se portent les toilettes, la femme, avec son luxe incomparablement plus grand que celui de l’homme, est la privilégiée ; tandis que, dans le monde où les toilettes se font, elle est, avec son gain minime, la plus infortunée des créatures. Et, comme personne plus que les intéressées n’est appelé à souffrir de ce contraste, il est clair que, pour ces ouvrières frôlant tout le jour le luxe et faisant de leurs mains la beauté de clientes, peu douées souvent du côté de la nature, mais qui « veulent être jolies quand même, » la rancœur de leur condition devient plus amère. La tentation d’en sortir, par n’importe quel moyen, doit être terriblement aiguë, lorsqu’une ancienne camarade d’atelier, une chanceuse, depuis peu « arrivée, » leur envoie un bonjour amical du haut de sa calèche rangée le long du trottoir.

Comparé pourtant à l’ensemble de la corporation, le personnel des grandes maisons peut passer pour favorisé au point de vue du salaire ! Il gagne en moyenne 4 fr. 50. Les salles où travaillent en commun les demoiselles de la couture n’engendrent aucune mélancolie, et les fusées de gaîté, qui partent d’un coin ou de l’autre, confirment la sagesse de ce dicton antique que « rire est ce qui contente le plus et ce qui coûte le moins. »

Mais nous sommes en un moment de presse ; vienne l’heure du chômage, beaucoup de ces chaises seront vides ; et comment vivront alors celles qui les occupent aujourd’hui ? D’autant plus que les licenciées sont les moins capables, par conséquent les moins payées durant les mois de forte besogne. Comment supprimer ces alternatives prodigieuses ? Le 15 février, chez telle faiseuse connue, il n’avait été commandé encore que deux ou trois robes. Il y a des époques où les patrons n’ont pour ainsi dire rien à faire, bien qu’ils n’aiment pas avouer ces mortes-saisons. L’un d’eux avait l’amour-propre de tenir éclairées jusqu’au milieu de la nuit les fenêtres de ses ateliers vides, afin de se donner,