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louable : les « gants de guerre, » — war gloves, — gants patriotiques pour dames, qui firent fureur à New-York il y a deux ans, au moment de la campagne de Cuba, parce que leur couleur bleue, leurs crispins et leur boutonnage doré rappelaient fidèlement la tenue militaire des troupes fédérales, venaient d’une maison française qui s’était procuré en Amérique une capote d’uniforme, pour en mieux reproduire la nuance et les attributs.

Parmi les gants exportés au dehors, quelques-uns nous reviennent sous une nationalité d’emprunt. Le Duc d’Aumale, un jour de chasse à Chantilly, vit arriver au rendez-vous certain cavalier qui, par une étude approfondie, était parvenu à se donner, jusque dans les plus minutieux détails, un aspect rigoureusement britannique : « Qui est ce monsieur, interrogea le prince, c’est un Anglais ? — Non, Monseigneur. — Ah ! reprit-il avec un sourire, alors c’est un imbécile. » Le snobisme mérite des égards ; nombre de gants fabriqués à Milhau, dans le Rouergue, vont recevoir leurs boutons à Londres, d’où ils sont réexpédiés à Paris.

Milhau doit au fromage de Roquefort, issu du lait de ses brebis, d’être devenu un centre important de production des agneaux. Or la peau de gant vient exclusivement de l’agneau et du chevreau de fait, qui n’ont pas encore brouté d’herbe. La Toscane fournit des sortes fines, connues sous le nom de « gants de Turin ; » mais les peaux étrangères, surtout celles de chèvres, souvent plates, maigres, nerveuses, sont d’une qualité inférieure. Les meilleurs chevreaux sont originaires de Tours et de Poitiers, où l’on pratiquait, sous Henri IV, l’art « d’accommoder les peaux de bœufs et autres en façon de buffle et chamois, qui sont, disait-on, de très bon service. » Cette industrie a disparu du Poitou ; mais Annonay, Grenoble, Saint-Junien (Haute-Vienne), principaux centres de la mégisserie, tirent indifféremment de l’agneau et du chevreau, suivant leur préparation, des gants de « Suède, » de « chamois, » de « daim, » de « castor » ou de « chien. »

Il ne s’est jamais fait de gants en peau de chien ; elle serait trop dure. Quant au poétique chamois du Tyrol qui, dans le Tartarin d’Alphonse Daudet, va boire le vin chaud chez l’aubergiste, il prête seulement son nom au gant d’ordonnance, que fournit la peau d’agneau, d’abord imbibée d’huile autant qu’elle en peut contenir, puis séchée et blanchie par une exposition plus ou moins longue au soleil et à la rosée. Le castor n’est autre chose qu’un « chamoisage » de premier choix. Le « Suède » s’obtient