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jalonnée par les signes qui attestent que dans l’année la malaria prend à un village près du centième de ses habitans. Le mal n’est pas, comme on le croit d’ordinaire, limité aux rivages marécageux et aux vallées de torrens. En Sardaigne et dans l’Italie du Sud, il s’élève sur les collines et sur les plateaux. J’ai moi-même rencontré en pleine Basilicate, à peu de distance du mont Vulture, une cabane isolée à près de 900 mètres d’altitude, et dont les habitans se mouraient de fièvre.

On aurait d’ailleurs une idée bien insuffisante de la puissance du fléau, si l’on se contentait de compter des cadavres. Beaucoup d’hommes sont atteints par l’infection qui ne succombent ni à la « cachexie palustre, » ni aux formes singulières et terribles que revêtent les accès pernicieux. La malaria, d’ordinaire, est moins une maladie mortelle qu’un affaiblissement chronique qui prépare la voie à toutes les maladies aiguës : la plupart des « malariques » meurent d’une pneumonie ou d’une entérite et ne sont point comptés parmi les victimes de la Malaria. Pour juger des forces que l’antique fléau fait perdre à l’Italie, il faudrait pouvoir supputer le nombre des journées de maladie qu’il coûte et celui des hommes qu’il abat et qu’il éteint[1]. Les statistiques ne pénètrent pas la masse obscure des travailleurs de la terre dont beaucoup aiment mieux mourir sur leur grabat que de se laisser emprisonner dans un hôpital. Mais on peut consulter, par exemple, les chiffres que deux médecins-majors ont tirés des documens du service de santé militaire[2]. On apprendra que la malaria fait entrer dans les infirmeries ou les hôpitaux plus de 10 pour 100 des jeunes hommes qui ont subi au conseil de révision une sélection qui a écarté la plupart des malingres atteints de cachexie palustre. On comptera cinq garnisons où la moyenne des hommes immobilisés au moins pendant quelques jours dans l’année par la malaria atteint la moitié de l’effectif. Le petit détachement de Cosenza, en Calabre, a donné en trois ans, à lui seul, 1 485 cas de malaria.

Les statistiques publiées par les chemins de fer ne sont pas moins effrayantes. Sur l’ensemble des lignes contaminées, la moyenne des employés atteints dans une année est de 90 pour 100. Sur les lignes de Naples à Tarente et de Tarente à Reggio, il faut changer le personnel tous les six mois pour sauver les fiévreux ;

  1. Per uno che ammazza, ne snerva cento (Torelli).
  2. G. Sforza et R. Gigliarelli, la Malaria in Italia ; Rome, 1885.