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— C’est par déférence pour votre mère que vous avez renoncé au théâtre dont d’avance..., vous vous rappelez..., j’étais jaloux ?

Elle feignit de ne pas entendre ses dernières paroles.

— J’ai perdu ma voix, voilà tout, quand... Vous l’ignoriez ? J’ai été très malade, une fièvre cérébrale, typhoïde, que sais-je ? ... et jamais je ne me suis complètement remise... L’anémie, une faiblesse incurable a persisté ensuite ; bronchite sur bronchite avec cela. J’avais toujours eu la poitrine assez délicate et le climat un peu froid de Versailles ne m’était peut-être pas favorable après une pareille crise. Bref, ce que vous appelez ma belle voix n’est jamais complètement revenu..., et peu à peu il n’en est rien resté. Si le coup eût été brusque, mon chagrin, très grand déjà, aurait eu la violence du désespoir... Je n’y aurais pas résisté..., et même... ainsi... il me semble que je puis comprendre la douleur d’une mère perdant son unique enfant, car je n’avais que cela.

Ses paupières s’abaissèrent sur ce que M. de Bresle se figura être une larme, mais elle ne la laissa pas couler et reprit d’une voix à peine altérée :

— Tout est peut-être pour le mieux, en somme.

Il attendait, le cœur serré, qu’elle s’expliquât :

— Oui, je n’aurais pas eu la force de renoncer volontairement.

Quand elle le regarda de nouveau, c’était lui qui avait les yeux humides. Rien ne le touchait comme le courage, et certes cette femme si frêle n’en manquait pas.

Il lui prit la main, qu’il porta respectueusement à ses lèvres sans qu’elle se défendît, et répéta :

— Pardon !

Cette fois elle n’affecta pas de ne point comprendre, elle répondit avec élan :

— Ne vous reprochez rien ! Je vous ai dû peut-être le calme et la dignité de ma vie. Quand nous nous sommes rencontrés, aussi jeunes l’un que l’autre, je croyais avoir tous les droits possibles au bonheur, j’étais tentée par une carrière aventureuse, mille périls me menaçaient et je ne sentais en moi rien de ce qu’il faut pour les vaincre. Eh bien ! une première faute, une première peine m’a mise à l’abri.

— Et vous ne voulez pas que je dise que la vie est affreuse, s’écria-t-il, cette vie qui fait de nous des victimes ou des bourreaux dans je ne sais quel dessein obscur !