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bien pourquoi l’Italie est à ses yeux la terre d’élection. De tous ces paradoxes, débités en cent façons, répandus par le livre, par le théâtre, par les journaux, mis en aphorismes par les beaux esprits à prétentions de penseurs, en analyses quintessenciées à l’usage des délicats, en drames et en romans-feuilletons à l’usage du peuple, un faux idéal s’est dégagé. L’homme qui a pu aimer jusqu’au crime, on pense qu’il était plus que d’autres capable d’amour. C’était un privilégié, un être d’élite. Quelle dut être la violence d’un amour qui pouvait se porter à de telles extrémités, et quelle la douceur ! Quelles caresses que celles qui, sitôt, pouvaient se changer en menaces ! Quelle volupté que celle dont l’ivresse fut exaltée par le voisinage du danger ! Pour nous qui restons à l’abri de ces tempêtes et de ces fureurs, nous pouvons bien nous applaudir d’une tranquillité qui a son charme ; mais avouons que, faute d’avoir souffert de ces sublimes égaremens, nous aurons ignoré le grand amour.

Or, il y a beaucoup de sortes d’amour et qui n’ont entre elles d’autre rapport que d’être désignées par le même nom. C’est une duperie de vouloir les imposer pareillement à notre admiration, comme si nous devions juger de la même manière ce qu’il y a en nous de plus noble et ce qu’il y a de plus bas. L’amour peut être un sentiment dans lequel nous mettons le meilleur de notre âme et les aspirations les plus relevées de notre nature. Il est fait alors de ce besoin que nous avons de ne pas être à nous-mêmes l’unique fin de notre existence, mais de nous détacher de nous, de mourir à nous pour revivre en autrui. L’oubli de soi, le dévouement, l’esprit d’abnégation et de sacrifice en font partie intégrante. Cet être que nous préférons à nous-mêmes, nous voulons lui plaire, au beau sens du terme, c’est-à-dire que nous voulons mériter son estime et nous rendre dignes de lui. Nous sommes donc induits à nous réformer, à corriger en nous ce qu’il y avait de défectueux, et forts d’une énergie nouvelle, nous devenons capables de grandes choses. Nous marchons plus sûrement sur la route et nous y parvenons plus haut, parce que devant nous une étoile brillait... L’amour ainsi entendu, et celui-là seulement, est admirable. Mais ce n’est pas cet amour-là qui devient meurtrier.

Dans l’amour qui tue, le premier élément que nous apercevons, c’est le désir des sens. C’est l’amour sensuel qui rend méchant, haineux, violent. Un lien étroit rattache la volupté à la cruauté : les preuves qui l’attestent ne sont que trop nombreuses et trop éclatantes ; on les puiserait à pleines mains dans l’histoire. Les cultes voluptueux de l’antiquité s’accompagnaient de scènes sanglantes. Les princes les