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n’est d’imposer un frein aux désordres qui ont pour théâtre « la vaste région située en arrière de la pariétale ascendante ? » Les religions, les morales, les codes et les catéchismes n’ont d’autre objet que d’augmenter chez nous la force de résistance à cette poussée d’en bas. Les idées de devoir, de justice, de charité, de pitié, ces créations de notre esprit, n’ont d’autre objet que d’y faire contrepoids. La civilisation les développe à travers le monde et l’éducation les développe chez l’individu. A mesure que nous y sommes plus fortement attachés, nous devenons davantage des hommes. C’est tout ce travail, accompli en vue de substituer à l’état de nature l’état d’humanité, qui se trouve défait d’un seul coup dans la minute du crime ; et c’est bien pourquoi, dans cette minute, nous retombons exactement au rang de la brute.

Une considération ajoute encore à l’odieux du crime passionnel. C’est le seul qui n’ait pas son origine dans la nécessité ou tout au moins dans la poursuite d’un avantage matériel. A vrai dire, tel est bien l’argument que font valoir en sa faveur ses avocats. Comment comparer, demandent-ils, celui qui assassine pour s’approprier le bien d’autrui et celui qui frappe pour venger son honneur ? Dans l’acte du premier, il n’y a rien que les plus vulgaires mobiles ; l’acte du second peut être une erreur, c’est une erreur où il entre de la générosité. Telle est l’opinion des jurés qui, propriétaires petits ou grands, n’admettent pas que la propriété puisse être menacée. M. Proal, en la reproduisant et en la prenant à son compte, montre une fois de plus qu’il ne parvient pas à se dégager entièrement lui-même du préjugé sentimental qu’il travaille à combattre. En effet, parmi tant de droits qu’on invoque aujourd’hui et pour lesquels on a inventé des formules inattendues, s’il en est un qui mérite d’être au moins discuté, c’est le droit à la subsistance. Nous n’avons peut-être ni le droit à l’insurrection, ni le droit à la diffamation, ni le droit à l’amour, mais nous avons le droit de ne pas mourir de faim. La famine, qui fait sortir le loup du bois, met un couteau dans la main de l’homme. On tue pour voler quarante sous. La vie sociale a créé toutes sortes de besoins factices. Ils conspirent avec la paresse, avec les mauvais exemples, avec d’autres excitations, pour mettre le voleur sur le chemin du meurtre. Le crime passionnel se suffit à lui-même et trouve sa fin en lui.

Dans quelle mesure enfin est-il juste de prétendre que dans le crime passionnel la responsabilité soit atténuée ? On compare l’ivresse de la vengeance à celle du vin. Mais l’ivrogne reste coupable d’avoir bu. On compare la fureur de la passion à un accès de folie. On parle d’impulsions