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anarchistes trouvent une poitrine à viser. Il n’y a pas de révolution politique, ni piobablement de révolution sociale, qui puisse les satisfaire et les désarmer. Aussi longtemps qu’un homme sera plus en vue que les autres, il servira de cible à quelque scélérat ou à quelque fou. Ceux qui leur cherchent des excuses, sous prétexte de donner des explications, ont donc beaucoup à faire, et ils ne sont pas encore au bout de leurs peines. La vérité est que le crime des anarchistes est inspiré par le plus bas des sentimens, la haine et l’envie du misérable pour tout ce qui est au-dessus de lui. Il y a des journaux, il y a des partis qui exploitent ce sentiment, tout en condamnant du bout des lèvres les excès auxquels il se porte. Et encore ne les condamnent-ils souvent que parce qu’ils les jugent inefficaces. À quoi bon ? disent-ils. Cela ne sert à rien ; cela ne peut que compromettre. Ils jugent le fait matériel indépendamment de toute considération morale, sans paraître se douter que, quand bien même le crime produirait le résultat qu’il se propose, il n’en resterait pas moins un crime, et que la sévérité avec laquelle on doit le juger n’en serait nullement atténuée. Contre toutes ces perversions de la conscience, on ne peut qu’élever une protestation indignée.

Une victime de plus vient de s’ajouter à la liste déjà longue que le nihilisme ou l’anarchisme ont si cruellement remplie depuis un quart de siècle, et à coup sûr une des plus innocentes. Jamais roi n’a moins que le roi Humbert abusé de son pouvoir. Il a scrupuleusement respecté la charte libérale de son pays. Il a présidé au fonctionnement normal des institutions que l’Italie s’était données, sans essayer d’y faire violence, ni même d’y exercer une pression sensible. Il a été vraiment un souverain constitutionnel. Si nous jugions, nous aussi, de la légitimité d’un acte d’après ses conséquences matérielles, nous dirions qu’il était bien inutile d’assassiner le roi Humbert. Qu’importe, en effet, que le roi d’Italie s’appelle de tel nom ou de tel autre, Humbert ou Victor-Emmanuel ? C’est pourtant à cela que se réduit le changement qui vient d’avoir lieu. Le crime de Monza n’a eu d’autre conséquence que d’unir dans un même sentiment toutes les consciences de l’univers, et ce n’est pas celle-là que les anarchistes se proposaient en armant la main de Bresci. L’impression en France n’a guère été moins vive que l’émotion en Italie. Malgré les dissentimens qui les ont parfois divisées, les deux nations n’ont pas cessé de se sentir solidaires : elles le sont par le sang, et plus encore par ce qu’il y a de commun dans leur longue et glorieuse histoire. Il aurait fallu peu de chose pour que le roi Humbert fût chez nous populaire. Au moment de sa