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explique tout. Au surplus, ces considérations de personnes ne nous touchent pas. Qu’importe, en somme, que le roi Alexandre ait fait un mariage jugé par les experts du protocole bien ou mal assorti ? Cela ne regarde que lui. Il n’a cherché que son bonheur, et nous lui souhaitons de l’avoir trouvé. Mais, en même temps, il a accompli un acte politique : il s’est émancipé. C’est du jour de son mariage que date le premier de son règne. Quant à savoir ce que sera ce règne, nous ne nous risquerons pas à le prédire. Étouffé sous la personnalité encombrante de son père, le jeune roi n’a pas pu jusqu’ici dégager la sienne : peut-être y réussirait-il mieux désormais. Quoi qu’il en soit, après le premier moment de surprise, la nouvelle de son mariage a été bien accueillie en Serbie, parce qu’on y a vu aussitôt une rupture inévitable avec Milan. Et, en effet, la rupture s’est produite. Milan, parti à la hâte de Carlsbad, a marché sur Belgrade, mais il s’est arrêté à Vienne, et il a envoyé de là sa démission de généralissime. Alexandre l’a acceptée. Il a fait plus, il a nommé à la hâte un successeur à son père. Il a fait plus encore, mais moins bien : il a donné à sa femme un régiment qui appartenait à sa mère et l’on peut trouver que ce dernier acte n’est pas de très bon goût. La Serbie ne voit qu’une chose, c’est qu’elle est débarrassée de Milan. Quant aux puissances étrangères, le mariage d’Alexandre n’a pas laissé d’en intéresser quelques-unes. Milan était tout dévoué à la politique autrichienne : il a suffi qu’Alexandre s’affranchit de sa tutelle pour qu’on se montrât satisfait à Saint-Pétersbourg. Les premières félicitations adressées au roi Alexandre sont venues de là, et elles ont été des plus cordiales. Cela veut-il dire que le nouveau règne va prendre du jour au lendemain une orientation nouvelle ? Rien ne le prouve ; mais il est naturel qu’on ait regardé d’un bon œil, en Russie, la disparition d’une influence qui s’exerçait constamment et systématiquement à Belgrade dans un sens peu favorable aux intérêts moscovites. On voit que le mariage d’un jeune roi peut avoir beaucoup de conséquences : peut-être les exagère-t-on. Cependant s’il est vrai, comme l’a assuré Alexandre, que le ménage royal et la politique serbe seront désormais deux choses tout à fait distinctes, la Serbie sentira d’autant mieux le bienfait de cette séparation qu’elle y était moins habituée.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.