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les mornes. Déjà on nous dit qu’ils sont divisés. Nous sommes tentés de le croire en voyant la multitude des nègres qui les abandonnent et le peu de dispositions qu’ils prennent pour nous arrêter. Hier, les deux fils de Toussaint lui ont été envoyés[1]. Ces jeunes gens pleurent et déplorent les cruautés de leur père. La loyauté et la grandeur d’âme du gouvernement français nous feront probablement des prosélytes et abrégeront nos travaux.

Je me suis avancé, hier, avec quelques bataillons, dans la plaine pour reconnaître le dégât ; il n’est pas grand. Ces misérables n’ont brûlé que très peu d’habitations. Leur fuite a été si précipitée qu’ils n’ont détruit que des huttes et des cases. Il n’en coûtera pas six francs pour reconstruire chacune d’elles.

Voilà où en sont nos affaires ; elles deviendront plus brillantes par la suite ; mais il y a encore beaucoup à faire.

Cette lettre devant être mise dans le paquet du général en chef, je me hâte de la terminer.

Remets les tiennes au général Olivier ou au général Pille, mes anciens collègues du Comité, que j’embrasse. Ils me les feront parvenir avec les paquets envoyés par le Premier Consul au général en chef. C’est le moyen le plus sûr et le plus expéditif.


Au Cap-Français, 26 pluviôse (15 février 1802).

Un aviso m’a apporté tes lettres des 20, 24 et 29 frimaire. Celle du 29 était numérotée 1. J’ai profité du retour de ce bâtiment pour l’écrire. C’est ma deuxième lettre. La corvette la Diligente part demain, avec celle-ci, qui est la troisième.

La chaleur est très supportable ; il est vrai que nous sommes encore dans ce qu’on appelle l’hivernage, c’est juin en France. Avec des ménagemens on peut se porter à Saint-Domingue aussi bien qu’en Europe.

Nous entrons demain en campagne[2] ; j’ai de la besogne

  1. Ils étaient élevés en France, à l’Institut Colonial. Le Premier Consul avait eu la généreuse pensée de les envoyer à leur père, avec le directeur de cet Institut, porteur d’une lettre de Bonaparte à Toussaint. La lettre fut remise trop tard pour empêcher la rébellion.
  2. Les 10 500 Français arrivés avec Leclerc avaient été renforcés par 3 800 soldats amenés de Toulon (contre-amiral Gantheaume, quatre vaisseaux, une frégate, une corvette, une flûte) et de Cadix (contre-amiral Linois ; trois vaisseaux, trois frégates). Le capitaine-général, maître des villes de la côte, voulut en finir avec l’armée de Toussaint, retranchée dans les mornes. Il prépara une attaque concentrique, en faisant marcher vers Ennery, du nord au sud, les divisions Hardy, Desfourneaux et Rochambeau, pendant que Boudet, venu de Port-au-Prince, marcherait du sud au nord. Le mouvement enveloppant était complété au nord-est par Debelle et la brigade Humbert, détachée de la division Desfourneaux.