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Ce n’est pas ici le lieu de l’entreprendre : il y faudrait regarder de trop près ; et je trouve à ce propos que le Conseil supérieur de l’Instruction publique et M. Georges Leygues ont décidé bien étourdiment que, « pour le participe passé construit avec l’auxiliaire avoir, on tolérera qu’il reste invariable dans tous les cas où on prescrit aujourd’hui de le faire accorder avec le complément. » Cette désinvolture n’est-elle pas admirable ? Dans tous les cas où l’on observait de certaines règles, dont les applications particulières mettaient parfois dans l’embarras nos instituteurs eux-mêmes, eh bien ! on ne les observera plus. J’aimerais autant que l’on dît : « Dans tous les cas où l’on interrogera les candidats sur le cours de la Seine, on tolérera qu’ils ne sachent ni où elle prend sa source, ni les contrées qu’elle traverse, ni les affluens qu’elle reçoit, ni même en quel point de nos côtes elle se jette à la mer… » Mais la question est plus compliquée, et, avant de la résoudre, il faudrait absolument qu’un grammairien philosophe l’eût étudiée dans l’histoire, et à fond.

Ceux qu’elle intéresserait trouveront d’utiles indications, quoique sommaires, dans un livre qui paraissait au moment même où le ministre de l’Instruction publique signait son arrêté de tolérance. Je veux parler de l’admirable Traité de la formation de la langue française de MM. Hatzfeld, A. Darmesteter et Thomas, qui complète leur savant Dictionnaire, et que nous espérons bien qu’on en détachera, comme formant à lui seul tout un ouvrage original, unique en son genre et nouveau. Si nous nous reportons donc à leur chapitre : Du participe, on y verra que le nœud de la difficulté consiste à savoir exactement dans quels cas le participe ne forme qu’un seul verbe avec l’auxiliaire, et dans quels cas, au contraire, avoir étant tout le verbe à lui seul, le participe n’est plus alors qu’un adjectif. Soit, par exemple : les grands écrivains que Paris a vus naître ; il semble bien qu’en ce cas le participe fasse corps avec l’auxiliaire, et qu’ils ne constituent le verbe qu’à eux deux ; on pourra donc écrire : les grands écrivains que Paris a vu naître. Pareillement, et au lieu de : Quelles raisons avez-vous eues d’agir ainsi ? nous pourrons écrire : Quelles raisons avez-vous eu ? si l’on juge qu’Avez-vous eu soit ici tout le verbe : J’ai eu, tu as eu, il a eu… D’autres cas seront plus douteux. Corneille a écrit :

Là, par un long récit de toutes les misères
Que pendant notre enfance ont enduré nos pères ;