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un policeman m’observait. Son attention commençait à me gêner, quand il s’approcha, me salua militairement : « Vous avez oublié votre clef, Monsieur ? » Et, sans attendre ma réponse, il tira de sa poche un passe-partout, ouvrit la porte, fit un second salut et s’éloigna.

Pour la première fois, je pénétrai dans ma chambre avec plaisir. Je fus reconnaissant à toutes les choses silencieuses dont j’étais entouré de m’offrir un refuge contre les rumeurs et les spectacles de la rue. Les images que je rapportais de ma promenade à travers cet enfer anglais d’Edimbourg s’unissaient, s’organisaient dans ma tête fatiguée. C’était une masse encore confuse et qui se dressait devant moi avec je ne sais quelle hostile résistance. Il me semblait que la vie-anglo-saxonne prenait forme et figure en ce vaste corps dont l’aspect muait sans cesse des titubations agitées de l’ivrogne à la rassurante démarche du patient, paisible et solide policeman.

On m’avait recommandé l’office militaire du dimanche à l’ancienne cathédrale de Saint-Gilles. Sur la place de l’église, la foule, qui a partout les mêmes curiosités, attendait les soldats. De toutes les rues affluaient les fidèles, leurs trois livres sous le bras : Holy Bible, Prayer Book et Church Hymnary : les enfans en avaient leur charge. Par le portail grand ouvert, un flot humain envahissait le temple. Soudain le silence de la rue est déchiré du bourdonnement strident des bag-pipes et du bruit des fanfares. Voici, descendant Castle Hill, l’admirable régiment des Gordon Highlanders. En tête, les sonneurs de cornemuse, rythmant leur allure de montagnards au pibrok héroïque et sauvage. Ils défilent la tête droite ; et leur uniforme sombre, — jupe courte, justaucorps vert et petite toque, — dans une envolée de rubans, prend un air de fête. Derrière, à un intervalle de quelques pas, tout le régiment suit, musique en tête et tenue de gala : la veste rouge, le kilt à carreaux, le plaid de tartan agrafé d’une boucle d’argent à l’épaule, et le haut bonnet de fourrure dont la retombée floconneuse cache le côté droit du visage. Je ne sais quoi d’archaïque et de barbare rehausse le défilé discipliné de cette troupe sans armes et se concentre en un personnage étrange, placé au centre des musiciens et qui les domine tous, comme l’ancien tambour-major de nos régimens. Une peau de léopard éployée sur sa poitrine tombe plus bas que ses genoux. Il s’avance rejeté en arrière, faisant saillir devant lui une « grosse caisse » démesurée, soutenue