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A minuit, je veillais encore devant la table de Browning. J’allai à ma fenêtre : un paysage de montagne se devinait dans l’ombre. La lumière de mes lampes projetait son halo dans la cour, et la vieille maison, endormie au pied des masses embrumées, faisait songer, avec sa façade basse, ses deux ailes en retour et les frustes sculptures de ses fenêtres à petits carreaux, à quelque manoir de laird écossais. C’était bien le meilleur cadre à mes impressions de ces derniers jours. Elles s’y organisaient en une image de vie simple, noble, indépendante et fière, toute pénétrée de la douceur sauvage que la solitude insinue dans les âmes, comme pour conserver leur pureté. Alors seulement certaines vertus peuvent s’épanouir. Je comprends mieux aujourd’hui l’Écosse fidèle à ses chimères, fervente dans ses croyances, libre de bien des convoitises et détachée de beaucoup de vanités. Son idéalisme a traversé les siècles et il imprègne encore d’une tenace essence la civilisation nouvelle.

J’ai respiré délicieusement ce parfum dans la maison de Mrs B... Reposé par cette nuit de fraîcheur et de silence, je traversai, le lendemain matin, le parc ensoleillé, et je trouvai la famille réunie au salon en attendant le breakfast. La lumière matinale entrait par les fenêtres ouvertes. L’aînée des jeunes filles se mit au piano, et sa mère lui choisit un cantique. Il glorifiait Dieu qui fait les matinées si belles et nos cœurs si charmés. Les paroles étaient certes d’un poète, et le chant d’un musicien. Il semblait que les premiers rayons du jour, à travers une âme très jeune, eussent divinisé leur beauté.

Il est assez habituel en Écosse que les domestiques ne paraissent point au repas du matin. Tout est préparé et dressé d’avance. Ce sont les enfans qui, après avoir mangé leur porridge (avoine concassée et cuite à l’eau), et un peu de poisson ou des œufs, s’empressent autour de leurs parens et des hôtes, dans l’intimité de la salle close. On devine assez, à de tels usages, un fond de simplicité patriarcale. Le luxe écossais, qui décore la vie, ne la transforme pas. Il reste une parure posée à la surface des choses : elle pourrait disparaître, sans leur rien enlever qu’un peu d’éclat. Les jeunes filles nous offrirent le thé, les tartines, les viandes froides et les gâteaux. Leur bonne grâce donnait à ce début de la journée comme un air de petite fête. Puis elles guidèrent notre promenade à travers le parc, jusqu’à des lacs dormans, lamés de feuilles sombres. Les rives ondulaient en