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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

hier, célèbre aujourd’hui ? À Pithiviers, à Étampes peut-être ? Demain enfin, après ces quinze jours d’inexplicable torpeur, Paris se levait à son tour. On ne savait pas bien les détails. Ce devait être du côté de la Marne. La deuxième armée entière, commandée par Ducrot, opérait. Un certain nombre de gardes nationaux mobilisés appuieraient le mouvement. Martial se plaignit de leur petit nombre : trois mille à peine ; il eût souhaite marcher. Ils critiquèrent la réorganisation des troupes, le partage en trois armées. Seule celle de Ducrot, l’ami de Trochu, réunissait tous les élémens vigoureux, la première restant composée de la garde nationale, sous Clément Thomas, qui avait remplacé Tamisier ; la troisième sous Vinoy, faite de divisions éparses, des mobiles sans artillerie. Pourquoi n’avoir pas unifié tout cela ? À l’idée qu’il serait probablement inutile demain, Martial confessait son humiliation.

— Heureusement, dit M. Delourmel, que le contingent bavarois commence à se lasser de la guerre. Ah ! s’il est vrai que Garibaldi soit entré, comme on l’affirme, dans leur pays. On dit que le roi Louis a pris la fuite devant les chemises rouges.

Ces dames épuisaient leurs ordinaires plaintes : la rareté, la cherté des vivres, si cruelle aux pécules restreints. On avait eu beau parquer dans Paris d’innombrables troupeaux, entasser aux halles, dans les caves, les magasins, les entrepôts, 300 000 quintaux de farine, 100 000 de riz, des tonneaux de viande fumée, des meules de fromage, des murs de conserves, des montagnes de légumes secs ! En deux mois la ville géante avait englouti le bétail sur pied, dévoré à demi sa réserve de pain, fait disparaître ses menus vivres. Malgré le rationnement, les bons municipaux qui, aux boucheries, faisaient s’allonger d’interminables queues, les ressources baissaient à vue d’œil. Seul le pain était en abondance, et sauf le riz, les salaisons, les pâtes, le café et le vin, — tout manquait. Les quelques rares denrées de commerce, le chocolat, l’huile, quintuplaient de prix. Pour tout assaisonnement, des graisses innommables, à 4 francs le kilo. L’œuf valait 14 sous, une paire de lapins 36 francs. Le cheval était presque l’unique viande ; ânes et mulets, requis dès le commencement du mois, n’avaient fait qu’une bouchée. On prenait gaiement son parti de ces innovations gastronomiques. Aux crocs des étals pendaient, festonnés et parés, des écorchés qui étaient des chiens, des chats. On vendait des saucissons de cheval. Le marché aux rats, place de l’Hôtel-de-Ville, étalait ses cages de fer toujours