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nous faut tenir compte pour faire à la littérature espagnole sa place dans une histoire de littérature européenne. En littérature européenne, si je puis ainsi dire, et dès que l’on se met au point de vue historique, le moment de caractériser chacune des grandes littératures de l’Europe moderne sera nécessairement celui de sa plus grande expansion.

La première place appartient sans conteste à la littérature italienne, et on peut dire que de 1450 à 1600 ou environ, la littérature italienne a régné presque sans partage. A qui le doit-elle ? Il semble bien que ce soit à Dante, si nous voulons remonter jusqu’à la première origine ; et n’eût-il été que l’ouvrier de son poème, c’est lui qui a forgé l’instrument dont se sont après lui servi tous ses successeurs. Mais trois autres hommes ont surtout représenté, dans l’Europe du XVIe siècle — et pour ne rien dire des érudits, — cette primauté de la littérature italienne : Pétrarque, Boccace, et Arioste ; l’auteur de ce Canzoniere dont l’influence a traversé les siècles pour venir harmonieusement expirer dans la poésie de notre Lamartine ; l’auteur du Décaméron, auquel on peut rattacher, sans beaucoup d’artifice, la lignée de ces conteurs italiens qui sont avec lui demeurés les maîtres de la nouvelle tragique (je songe surtout à Bandello en écrivant ceci) et l’auteur du Roland furieux. En celui-ci viennent aboutir les Chansons de geste et les Romans de la Table ronde, déjà tout prêts pour la transformation que leur fera subir, cinquante ou soixante ans plus tard, l’auteur de la Jérusalem, et qui aura pour conséquence de les métamorphoser d’une matière jusqu’alors poétique en une matière proprement musicale. Si l’on ajoute à ces grands noms celui de Machiavel, on n’aura pas énuméré, tant s’en faut ! tous les grands écrivains de l’Italie de la Renaissance, mais, précisément, et surtout dans une histoire de la littérature européenne, je ne voudrais pas les avoir tous énumérés. Une histoire n’est pas une compilation. Il suffit que ce soient ici les « maîtres » ou les « guides ; » qu’il y ait quelque chose de leurs exemples, sinon de leur génie, dans presque tous leurs contemporains ou leurs successeurs ; et qu’on ne puisse enfin, comme je le crois, assigner à la littérature italienne considérée dans son ensemble, aucunes qualités ni même aucuns défauts qui ne se manifestent chez eux en acte ou qui n’y sommeillent en puissance. Le Marinisme lui-même n’est-il pas déjà presque tout entier dans Arioste ?