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rencontrés au Japon tenaient les Japonais pour de simples mécréans, c’est qu’une religion qui ne prétend pas monopoliser le salut des hommes ne leur semblait point en être une. Ce peuple les confondait surtout par son absence de fanatisme. Or la tolérance, qui commence seulement à s’introduire dans nos mœurs plus encore que dans nos esprits, est une des habitudes morales les plus anciennes de l’Extrême-Orient. J’y verrais même le caractère distinctif de la race jaune. Elle n’y est arrivée ni par le doute, ni par l’indifférence, ni par le respect réfléchi de la pensée humaine. Son inaptitude à concevoir l’absolu l’y a naturellement conduite ; et cette vertu que nous prisons à l’égal des plus hautes, parce qu’elle nécessite chez nous une série d’efforts et de victoires intérieures, ne provient chez les Japonais que d’une insuffisance métaphysique. Ils ignorent notre amour de la vérité dont nous avons payé le privilège par des siècles d’intolérance. Ils ne la cherchent point comme nous, qui la cherchons encore longtemps après que nous l’avons trouvée. Leur religion n’en a pas revêtu l’idéale et inflexible beauté. Leurs actes de foi n’entraînent pas forcément la donation de tout l’être et ils n’affectent pas au mot croire le même sens que nous.

N’interrogez point un Japonais sur ses convictions religieuses. Vous lui poseriez des questions qu’il ne s’est peut-être jamais posées à lui-même. Et s’il y voit clair dans sa conscience, en quoi ses sentimens pourraient-ils vous intéresser ? Ils lui conviennent et ne conviennent qu’à lui. Sa piété n’éprouve guère le besoin de se communiquer aux âmes qui l’entourent. Elle a je ne sais quoi de tacite et de réservé. J’ai beaucoup fréquenté à Tokyo les temples populaires : ils ne m’ont jamais donné l’impression d’une communion de fidèles rassemblés pour une même prière au même Dieu. Chacun vient, entre, accomplit les rites qui lui plaisent, se découvre ou reste couvert, se prosterne ou s’incline, s’arrête ou passe, manifeste par son attitude sa pleine confiance envers la divinité, ou sa demi-confiance, ou son quart de confiance. Rien n’y révèle l’effusion silencieuse des cœurs également convaincus et touchés. Mais personne n’y scrute la sincérité des prières. Les paupières mi-closes n’y promènent point autour d’elles d’officieuse enquête sur la dévotion d’autrui. Les controverses hargneuses des sectes bouddhistes n’inquiètent pas plus la foule que les rivalités dés marchands ne troublent les acheteurs. Ce sont des querelles de moines qui, loin de chercher la vérité, se disputent aigrement