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nues, par la richesse de leurs veines, célèbrent la gloire des essences mystérieuses ; les plafonds aux caissons polychromes, les brocarts, les murs de cèdre ciselés d’oiseaux éclatans, chacun sous ses feuilles et sur sa branche coutumières, tout surprend les yeux, les attache, les amuse, leur fait embrasser en l’espace d’un instant l’univers sensible des formes et des couleurs pour noyer leur ivresse dans la pénombre d’un sanctuaire de laque et de bronze, où les réchauds et les cierges parfumés la recueillent et la transmettent à l’odorat.

Ces temples encombrés de merveilles, musées voluptueux du néant, et qui s’étendent, se compliquent, se ramifient en corridors, se prolongent en passerelles, sous le désordre panthéistique de leur architecture, découvrent et imposent à l’émotion des sens leur secrète unité. Le bouddhisme éveilla les Japonais au monde des sensations, les unes étranges et les autres charmantes. Il leur apporta de l’Inde, de chez cette vieille thaumaturge du genre humain, des rituels d’exorcismes, des paroles magiques, des incantations nocturnes, une théosophie capable d’exciter les amateurs et de séduire les femmes. De la télépathie élémentaire du shintoïsme il fit une science occulte. On distingua le shyriô, cet esprit des trépassés qui agit sur les vivans, et l’inkyriô, cet esprit des vivans qui agit à distance sur les vivans eux-mêmes. Les morts rôdèrent au chevet de leurs parens malades et vinrent leur tirer les pieds vers le sépulcre. Quand deux personnes de la même famille meurent dans l’année, et qu’une troisième doit être déjà marquée pour les suivre, car le proverbe dit : « Toujours trois tombes, » on creuse une nouvelle fosse, on y dépose un cercueil avec un cadavre de paille ; le prêtre bouddhiste grave sur la fausse pierre tombale un nom posthume et jette ainsi un charme à la mort. Le Japon eut ses envoûteurs, qui se rendaient au temple désert vers deux heures du matin, à l’heure du Bœuf, sous un grand chapeau de paille surmonté de trois chandelles allumées, tenant à la main la figurine en terre et les clous. Il eut ses alchimistes et ses nécromans. Des mères en deuil revirent leur enfant, plus beau qu’au jour de sa naissance, traverser, le sourire aux lèvres, une route silencieuse sur la rivière des larmes. Et l’on entendit les Gaki hurler la faim, car c’est un des supplices que l’enfer bouddhiste réserve à ses damnés. Et le ciel dépêcha vers les hommes des Tennin dont les ailes angéliques sillonnèrent les nuits bleues. Et des voix inouïes vaticinèrent dans les temples.