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que les Japonais n’y trouveraient rien d’exceptionnel.

En 1812 un capitaine russe, Rikord, envoyé pour négocier le rachat du capitaine Golownin qui, l’année précédente, dans une exploration des Kuriles, était tombé au pouvoir des Japonais avec tout son équipage, s’empara d’une jonque et en retint le patron comme otage. C’était un armateur, du nom de Kahi, assez riche, et qui, sans appartenir à la classe des samuraïs, avait pourtant le droit de porter un sabre. Il fut emmené en captivité à Okhotsk, et sa famille le crut perdu. Son meilleur ami, désespéré de cette infortune que l’horreur des étrangers rendait pire que la mort, distribua ses biens aux pauvres et, comme nos saints au désert, se retira sur une montagne. Cependant les Russes, touchés de sa noblesse et de sa dignité, ramenèrent leur prisonnier, et Kahi rentra dans sa ville. Il y apprit ce que son ami avait fait. Il ne lui envoya point de messagers ; il n’éprouva pas le besoin de le serrer dans ses bras ; il ne songea pas à partager ses biens avec l’homme qui, pour l’avoir aimé, s’était appauvri. Mais ce Kahi comptait parmi ses enfans une fille que, depuis des années, il avait chassée de sa maison. Aux parens, aux amis qui l’avaient supplié de lui pardonner son inconduite, il avait toujours répondu que l’honneur le lui défendait. Tous les efforts s’étaient brisés contre sa décision irrévocable. Or il oublia la honte, il s’imposa de fléchir son orgueil puritain, il reconnut le sacrifice par le sacrifice, il rappela sa fille, ne doutant point, disait-il, que son ami le saurait un jour et comprendrait.

De tels sentimens émergent des profondeurs bouddhistes. Ils ont l’inexprimable beauté de ces fleurs de lotus qui s’épanouissent au crépuscule sur l’eau d’un étang solitaire. Oh ! je sais qu’il y a de la vase dans l’étang ! Je n’ignore pas que le bouddhisme japonais est mêlé d’impuretés ignobles ; que ses prêtres sont trop souvent incultes ou scandaleux ; et je ne pense pas que ses philosophes aient ajouté beaucoup à la gloire de la doctrine. Ils ont subi l’ascendant d’une métaphysique dont ils adoptèrent les conclusions bien plus qu’ils ne les enrichirent. Leurs douze sectes rivalisent d’arguties et de basse scolastique. Leur fameux apôtre Nichiren qui s’écriait : « Rien ne peut m’émouvoir si ce n’est d’être vaincu dans la discussion par un homme plus sage que moi, mais je ne crois pas que cet homme se rencontre jamais ! » me produit l’effet, au point de vue intellectuel, d’un médiocre penseur. Le bouddhisme ne nous intéresse que vu ou