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difficultés de notre théologie. Mais il se produisit ce curieux phénomène que le protestantisme entre les mains païennes de ces nouveau-nés à la réforme, comme si sa logique interne échappait à tout régulateur, atteignit du premier coup le dernier terme de son évolution : le rationalisme. En 1893, dans une assemblée des presbytériens de Tokyo, on décida que les doutes qu’ils pourraient avoir de la divinité de Jésus-Christ n’empêcheraient point les pasteurs scrupuleux de rester en charge, car, disait-on, « si la foi en la divinité de Jésus était exigée, un grand nombre de ministres devraient abandonner leur chaire. » lien fut de la religion protestante au Japon comme du parlementarisme qui, dans l’espace d’un jour, passa de la verdeur à la maturité et à la corruption. Le Japonais se couche protestant et se réveille rationaliste. Et je ne demanderais pas mieux que d’y applaudir, si j’avais confiance dans une raison aussi vite émancipée.

D’ailleurs, de toutes les tendances européennes, seule l’irréligion de nos esprits forts satisfait pleinement les parvenus et les nouveaux maîtres du pays. Les missionnaires se sont heurtés aux mêmes objections où se retranchent nos libres penseurs. Le Japon n’avait guère changé depuis le commencement du XVIIe siècle : seulement cette fois, la Bible expliquée aux aumôniers du roi de Pologne et la philosophie de Paul Bert avaient traversé les mers et débarqué du même paquebot que les apôtres. « La religion, n’étant en somme qu’un reste des âges barbares et incultes, ne saurait convenir à une époque où l’esprit humain est en pleine efflorescence. Tant qu’un pays demeure attaché à sa religion, ce pays ne peut prétendre ni à la civilisation, ni à la puissance, ni à la richesse. Les grands pays d’Europe et d’Amérique ont eu raison des entraves du christianisme. Il faut les féliciter de leur courage. La France et la Suisse ont enfin prohibé de leurs écoles tout enseignement de morale religieuse… » Qui parle ici ? Est-ce ton ombre, ô pharmacien d’Yonville ? Est-ce un anticlérical des Batignolles ou de Pantin ? Non, j’emprunte ces lignes à un article sur le vice constitutionnel de la morale religieuse paru en 1898 dans une revue japonaise qui fait autorité en matière d’éducation. Je crains que son auteur n’ait l’esprit un peu bien simpliste. Mais, comme ses compatriotes les politiciens ont cru de bonne foi par les exemples étrangers qu’il suffisait d’étrangler ses scrupules pour devenir un homme politique, le spectacle superficiel de l’Occident l’a persuadé qu’il suffisait d’étouffer les croyances religieuses