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bien au groupe daco-thracique, Mésiens, Albanais, Dardaniens, Péoniens, Pélagoniens, Chaoniens, Molosses, etc., aux idiomes pauvres et rudes, n’entreraient enfin dans le grand courant de l’histoire et de la vie que par leur absorption dans l’hellénisme. Si ces Barbares n’avaient pu, en quatre siècles d’empire romain, devenir, comme les Ibères ou les Celtes, de vrais Latins, pourraient-ils se montrer aussi réfractaires à cette langue hellénique qui, depuis le VIe siècle avant notre ère, s’insinuait chez elles par tant de colonies grecques et par toutes les voies du commerce, qu’avaient parlée les rois de la Macédoine et de l’Epire encore barbares, les Philippe, les Alexandre le Grand, les Antipater, les Ptolémée la Foudre, les Pyrrhus ; plus rapprochée de leurs idiomes qu’autre parler humain ; une langue qui était à la fois celle de l’Empire, celle de l’Eglise et celle de la civilisation ?

Il devait suffire, semblait-t-il, que les successeurs de Constantin le Grand maintinssent la frontière du Nord bien garnie de forteresses et de légions, rigoureusement fermée aux hordes asiatiques, pour que la péninsule tout entière, en quelques générations, devînt comme une Grèce immense, et que de la Save au cap Ténare on n’entendît plus que les sons de la langue de Platon. L’hellénisme avait, évidemment, toutes les chances de succès : nulle rivalité possible de la part de ces obscures tribus indigènes ; la rupture avec la Rome italienne arrêtant net l’afflux de colons d’Occident ; ceux mêmes que l’empereur Trajan avait établis en Dacie, les futurs Roumains, emportés par la première tourmente des invasions, dispersés en des lieux inconnus, évanouis de l’histoire, qui pendant des siècles ne saura même plus leur nom ; enfin les provinces asiatiques du nouvel empire, de Trébizonde à la Syrie, de Smyrne à l’Euphrate, hellénisées depuis les temps alexandrins, offraient pour la complète hellénisation des provinces d’Europe un réservoir inépuisable d’hommes et d’énergies.

Le gouvernement qui s’installait dans la vieille cité de Byzance disposait des trois forces morales les plus puissantes qui eussent encore existé dans le monde. Il procédait à la fois de Rome, de la Grèce et de la Judée. Son souverain était l’héritier de Jules César, d’Alexandre le Grand et de Jésus-Christ. Son peuple était le peuple hellénique, et le peuple romain, et le peuple de Dieu. Il était même le seul peuple romain, du jour où la vieille Rome succomba sous l’invasion germanique. De ce jour-là