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y a une autre Zagorie, une Babagora (Mont de la Bonne femme), un Biélograd (ville blanche). Même aux portes d’Athènes, sur le territoire sacré d’Eleusis, le village de Zastani (derrière la palissade) dénonce la présence de colonies slaves. Le nom moderne du Péloponnèse, Morée, est peut-être slave (Moré, la mer, donc le pays maritime). Ce qui ne peut être contesté, pas plus pour le Péloponnèse que pour le reste de la Hellade, c’est la multitude des noms de lieux dans le genre de ceux-ci : Zagora, en Messénie ; Véligosti, en Arcadie ; Goritsa (de gora) près de Mantinée ; Chelmos (colline), en Achaïe ; quantités de localités appelées Boukovitsa, Lipovitsa, Oriéchova, Toplitsa, Doubovo, Tirnovo ou Tyrnavos (de mots slaves signifiant hêtre, tilleul, noyer, peuplier, chêne, épine) ; Prochod, Pescanitsa, Kaménitsa, Granitsa, etc. (passage, sables, pierres, frontière) ; Tourovo ou Tourani, Bobrovo, Vltchi, Medviédets, Iastrébitsa, Rakovitsa (buffles, castors, loups, ours, faucons, écrevisses). Ce qui ne peut être non plus contesté, c’est la quantité de Zagories, Slavinies, Sclavinies, Slavochorion (cantons des Slaves), qui se rencontrent à tout moment dans les textes historiques. Sur les pentes de l’âpre Taygète de Laconie se sont maintenues pendant des siècles deux belliqueuses tribus, les Ézérites (ozéro, lac ou marais) et les Milinges, que la Chronique de Morée, au XIVe siècle, qualifie de Slaves. Est-il donc étonnant qu’un Basileus du Xe siècle, Constantin Porphyrogénète, dans son livre sur les Thèmes ou Provinces, stupéfait de la transformation qui s’était opérée dans son empire, se soit écrié : « Ἐσθλαϐωθὴ πᾶσα ἡ χώρα ; tout le Péloponnèse est devenu Slave ! »

Si les Slavinies du Nord, établies en Mésie, en Thrace, autour de Salonique et en Macédoine, avaient été les élémens dont se forma l’empire de Bulgarie, n’était-il pas à craindre que les Slavinies de la Thessalie, de la Béotie, de l’Attique et du Péloponèse ne gravitassent vers le même centre d’attraction et que, par elles, le royaume des Krum, des Boris et de Siméon ne s’étendit jusqu’au Taygète et au cap Ténare ? A la vérité, dès le temps de l’empereur Basile le Grand, l’action politique et religieuse de Byzance avait commencé à s’exercer parmi ces tribus païennes ; de gré ou de force, au moins celles de la plaine, furent soumises à la perception du tribut et à l’autorité des stratèges (gouverneurs) ; presque toutes, sans renoncer à certaines superstitions apportées des pays du Nord, avaient dû abjurer les dieux paternels, Voloss ou Péroun, confesser la foi du Christ et subir