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X

D’un bout à l’autre de la rue Royale, à Tours, l’émotion d’une grande nouvelle faisait s’assembler les passans, animait les visages. L’armée de Paris, victorieuse, aurait percé le blocus, marchait vers la Loire. C’était le premier décembre, à l’heure où, en face de Villiers et de Cœuilly, fermant le passage, on enterrait les morts. Le soleil couchant, tout le jour, avait doré les maisons, les platanes défeuillés du mail, et s’éteignait dans une calme gloire, qui ajoutait à l’espérance.

Poncet courait à la Préfecture, retrouvait l’agitation de la rue. Il pénétrait jusqu’à Gambetta, apprenait de lui confirmation de la victoire.

À travers les fenêtres closes, la rumeur entrait. Quelqu’un, front collé à la vitre, dit :

— On vous réclame. Ils s’impatientent.

Gambetta se leva, de ce même mouvement brusque d’orateur, dont naguère, aux tables du café Procope, il était coutumier. Et familièrement, avec assurance, ayant fait signe d’ouvrir, il gagna le balcon. Poncet, par-dessus Spuller et Glais-Bizoin, dont les traits grimaçans paraissaient sculptés dans la pierre, entrevit à la lueur des réverbères le moutonnement des têtes dans le soir. La voix descendait en paroles vibrantes, sous lesquelles l’enthousiasme naissait, grandissait. Elle disait l’hosannah du triomphe, la délivrance prochaine de la patrie, l’héroïque Trochu se joignant à Ducrot pour entraîner les troupes au delà de la Marne, le cercle de fer rompu, l’amiral La Roncière poussant jusqu’à Épinay, au delà de Longjumeau, Amiens évacué, l’armée d’Orléans marchant à la rencontre de celle de Paris. Le génie de la France, un moment voilé, réapparaissait… « Qui donc oserait douter de l’issue finale ? »

Poncet, sans attendre la fin, partait au milieu d’une pause d’acclamations. Il lui tardait de retrouver sa femme, de causer des grands événemens, de Martial… La nuit était close, magasins illuminés, cabarets pleins. Des bandes chantaient la Marseillaise. Des inconnus se donnaient des poignées de main ; on se congratulait, on s’arrachait des carrés de papier distribués par des enfans et des femmes, criant : « Demandez la grande nouvelle ! La victoire de Paris par le général Trochu ! » Les murs se couvraient de placards.