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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

sation, de cadres, surtout à débattre le grand parti : continuation de la lutte, ou retraite découvrant Tours. Mais puisque d’elle-même la Délégation avait quitté la ville, et que de son côté Bourbaki, après une courte pointe sur Gien, loin de tenir campagne, se retirait vers Bourges, pour aller s’y refaire, — comme si la deuxième armée n’avait pas le même besoin, — il fut décidé qu’on se replierait sur la ligne du Loir, après avoir tenté une fois encore le sort des armes : « Qui sait, disait Chanzy, ce que peuvent apporter les changemens de fortune si fréquens à la guerre ? » Il ajoutait : « L’ennemi est aussi fatigué que nous. » Général et ministre s’étaient vite entendus. Chanzy avait alors quarante-sept ans, une singulière maturité d’esprit jointe à une résistante vigueur physique ; quoique assez chauve, il semblait jeune, avec sa taille élancée, sa figure fine et énergique, au front large, au nez aquilin, au regard vif empreint de volonté. De toute sa personne émanait la marque virile : un caractère. L’échec de la veille, les risques du lendemain n’existaient pas pour lui. Il se réveillait chaque matin avec une résolution indomptable, un espoir intact. Il faisait manœuvrer ses recrues comme de vieilles troupes, et parce qu’il avait confiance en ce qu’elles représentaient de vaillance et d’efforts possibles, elles avaient confiance en lui. Si inexpérimentées qu’elles fussent, si tragiques que se succédassent les revers, il ne formait, comme Gambetta, qu’un vœu, débloquer Paris, lutter à mort. Il croyait au triomphe final, et qu’une nation qui ne veut pas se laisser écraser, peut vaincre.


Et de fait, trois jours durant, il avait résisté pied à pied, cédant à droite par suite du recul de la division Camô, mais regagnant à gauche. Les rudes chocs des Allemands, à bout de souffle, désespérés, échouaient contre cette opiniâtreté. Forte à ce moment de 60 000 combattans, l’armée s’étendait, la droite au fleuve, la gauche à la forêt de Marchenoir. Jauréguiberry avait remplacé Chanzy au 16e corps. Le 7, lutte indécise, chacun conserve ses positions ; le 8, les Bavarois plient au centre, mais enlèvent Beaugency et Messas, évacués après la blessure de Camô. Le 9, cramponné aux hauteurs de Tavers, en arrière de Beaugency, on recule à peine de deux kilomètres, après une lutte vive à Villorceau, à Villejouan, à Origny. Et, tandis que Gambetta, tranquille du côté de Chanzy, reprenait le chemin de Tours, pour de là courir à Bourges vers Bourbaki, le prier de tenter au moins une diversion, la deuxième armée livrait le 10 sa quatrième