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Mme Thédenat parlait des ambulances. C’est là que Paris se montrait admirable, dans un élan de charité, qui faisait de toutes parts affluer les bons vouloirs, l’argent. En dehors des hôpitaux de la ville, de grandes sociétés, soudainement organisées, les Ambulances de la Presse, la Société française de Secours aux blessés, l’Internationale, créaient des milliers de lits. Les colonies étrangères rivalisaient de zèle. Un personnel médical et administratif surgissait et se multipliait. Des ambulances de campagne et des ambulances volantes doublaient les ambulances fixes, allaient jusque sous le feu. Au Palais de l’Industrie, au Corps législatif, aux Tuileries, à l’ambassade d’Autriche-Hongrie, dans les jardins publics, dans les foyers des théâtres et beaucoup de maisons particulières, les blessés trouvaient des soins assidus ; et, si du cabotinage et parfois de vilains calculs s’y mêlaient, ces petitesses disparaissaient dans le grand mouvement de généreuse pitié. Ce que Mme Thédenat omit de dire, c’est qu’affiliée aux Sœurs de France, elle-même passait de longues heures au chevet des malades, dans une ambulance du Luxembourg.

Le dessert achevé, un pot de ces confitures où elle excellait, — on n’en referait pas cette année ! — les trois hommes, rentrant dans le cabinet de travail, s’accoudèrent au petit balcon. Ils contemplaient les maisons voisines, prudemment munies de drapeaux d’ambulance, les pelouses du Luxembourg couvertes de maigres troupeaux et, dans le jour bruineux, la masse d’arbres tachée de rouille par l’automne. Au loin, par delà le vaste horizon de toits et de cheminées, une ligne bleue voilait le cercle des bois, les collines indistinctes, le profil confus du Mont-Valérien. Ils se taisaient, songeant à l’autre cercle, aux milliers, milliers d’ennemis qui occupaient, bouleversaient les rians villages, cette jolie terre des environs où ils avaient promené leurs amours et leurs rêveries de jeunesse. Berges de Bougival, étangs de la Celle-Saint-Cloud, taillis de Clamart ! Noms frais comme des fleurs et savoureux comme des fruits : Fontenay-aux-Roses, Montreuil, Montmorency ! Ils erraient en pensée à travers les sentiers de ces bois harmonieux, dénouant de colline en colline leur frémissante guirlande, de ces bois où l’on avait essayé de mettre la torche, si pleins de sève qu’ils avaient refusé de brûler. Puis ils en revenaient à l’énorme ville étalée sous leurs pieds, et dont ils percevaient la rumeur, faite du sourd écho du canon, du bourdonnement des clairons, des voix, des pas, du battement des