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sa persévérance, elle le fait rebelle au travail qui est la loi même du progrès.

La troisième forme de l’idolâtrie, la foi aux dieux publics et nationaux, détruit un autre élément essentiel de la civilisation, la paix. Créés par chaque peuple et par des peuples divers, d’âge, de caractère et d’ambitions, ils représentent partout ces diversités. Comme chacun de ces peuples les a créés non seulement avec ses craintes, ses désirs, mais avec ses préjugés, il estime ses dieux supérieurs à ceux des autres races, et les dieux étrangers pour les ennemis de sa fortune. Loin d’élever au-dessus des divisions nationales un asile où l’unité du genre humain pût prendre conscience d’elle-même, ces idolâtries effacent l’intelligence d’une société commune, le sentiment de la parenté, elles ne mettent que l’isolement farouche de chaque État sous la garde des dieux. Aucune de ces religions bornées à la race n’est faite pour s’étendre, aucune n’entend être détruite : elles perpétuent l’inégalité, la haine, la guerre entre les peuples.

Si l’on envisage enfin les traits communs de toutes les idolâtries, on reconnaît que par leurs caractères essentiels toutes font obstacle à la civilisation.

La civilisation ne peut avoir pour fondemens le mensonge. Or l’erreur des idolâtries est démontrée par leur multitude même, car Dieu est inséparable de l’unité. La souveraine puissance ne saurait être en même temps accordée à plusieurs : s’ils l’exercent ensemble, elle est divisée entre eux et Dieu a des bornes ; s’ils prétendent la posséder chacun tout entière, c’est Dieu qui est divisé contre lui-même ; s’ils se tiennent en échec, aucun des dieux n’a la toute-puissance ; si l’un d’eux l’emporte sur les autres, celui-là seul a la toute-puissance et ceux qui obéissent ne sont pas dieux.

La civilisation ne peut s’établir sans le secours d’une loi morale. La civilisation a pour but de rendre l’homme plus heureux ; il ne saurait devenir plus heureux qu’en devenant meilleur ; et pour devenir meilleur, il faut que l’homme se sente contraint au devoir douloureux par une autorité infaillible et soit comme élevé par elle au-dessus de lui-même. Comment s’élèverait-il au-dessus de lui-même s’il n’a qu’en lui-même son point d’appui ? Par les religions qu’il crée, il ne cherche qu’à assurer à ses intérêts, à son égoïsme la protection d’un ciel complice. Mais comment des religions faites par l’homme le transformeraient-elles ? Elles